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mise à jour le 21 janvier, 2012 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du sitePage précédenteAccueil

Une Europe des pèlerinages dès 1836

Au dix-neuvième siècle déjà, les pèlerinages ont été considérés comme des éléments importants pour l'Europe.
Jean-Paul Ramond, membre de la Fondation David Parou, nous a communiqué un article intitulé «Les pèlerins du Moyen Age», publié en 1836 dans le journal Le Magasin pittoresque, p. 348-350. Toutes proportions gardées, cet article est d’une étonnante actualité, au moment où l’Europe moderne se cherche des identités communes, en particulier au long de l’un des Itinéraires Culturels Européens, celui de Compostelle.
L’auteur (anonyme) y prône en effet les pèlerinages comme l’un des moyens de réconcilier des peuples divisés.

En 1836, règne la bourgeoisie de Louis-Philippe. Le Moyen Age est redevenu à la mode depuis la Révolution, les nobles cherchant à occuper leurs loisirs dans l’Histoire de leurs souvenirs, les partisans des révolutionnaires, issus du peuple comme l’historien Augustin Thierry y cherchent des hommes obscurs qui ont fait le monde. Cette idée de réunifier les peuples divisés en une grande Europe avait été développée dès avant la fin de l’Empire, en 1814, par Saint-Simon (1760-1825), philosophe et économiste, dans La réorganisation de la société européenne. Cette réflexion avait été menée avec son secrétaire, le futur grand historien que fut Augustin Thierry (1795-1856). Elle avait le mérite de poser le problème de savoir comment pourraient un jour vivre en paix tous les peuples vaincus par Napoléon. L’idée de fédération de l’Europe est reprise par Edouard Charton (1807-1890), avocat et saint-simonien, fondateur en 1833 du Magasin pittoresque (qui paraît jusqu’en 1938). L’auteur de l’article pourrait d’ailleurs en être Augustin Thierry soi-même. L’époque ignore encore ce Moyen Age pour lequel elle se passionne, d’une manière toute Romantique. On croit encore à l’immobilisme des hommes vivant en autarcie, terrorisés à l’idée de bouger. Seule la Foi pouvait les mettre en route, ainsi qu’en témoigne cette belle envolée lyrique où se profile l’ombre des millions de pauvres pèlerins encombrant les routes :


«L’influence civilisatrice des pèlerinages est incontestable. Aux temps où les communications du commerce n’étaient pas encore établies entre les peuples, où les voyages pénibles et lents, exposaient à tous les dangers de la barbarie et de la guerre, aucune impulsion pour vaincre tant d’obstacles ne pouvait être aussi puissante que cette foi ardente qui entraînait les croyants à aller implorer aux lieux consacrés la grâce et la miséricorde… Des hommes isolés, la plupart mendiants, demi-nus, sans autres armes que le pauvre bâton qui soutenait leur marche, ont fait autant, pendant plusieurs siècles, pour la cause du genre humain que la Rome des Brutus et des César et toutes ses gloires sanglantes.»

Cette vision du Moyen Age est aujourd’hui complètement obsolète, les historiens des mentalités ayant peu à peu fait sortir de l’ombre des hommes qui nous ressemblent bien davantage. Il n’empêche que l’idée est bien là, cette idée que le pèlerinage est un moyen extraordinaire de véhicule de la culture, de la connaissance mutuelle, un moyen de réconcilier des nations ennemies, tant il n’est mieux que les rencontres pour effacer les peurs réciproques :


«Combien les haines nationales ne sont-elles pas modérées et affaiblies par suite des relations qu’établissaient et entretenaient insensiblement le passage et le séjour de tant d’individus de pays différents rassemblés par les sympathies d’une même croyance ! Combien de préjugés contre les habitudes, les mœurs, les physionomies, les caractères, se sont dissipés à l’aide de ces lointaines visites entre des chrétiens de nationalités hostiles ! Mais surtout combien de connaissances se sont répandues plus rapidement par tant de bouches, qui portaient de peuple à peuple le récit de tout ce qui avait frappé leur esprit, et ouvert à de nouvelles clartés leur intelligence !… Qui pourrait estimer par exemple tout ce que les pèlerinages ont transmis de civilisation orientale à l’Europe… Ils avaient été chercher Dieu, ils rapportaient l’art et la science, tant il est vrai que tout ce qui se fait au nom d’une grand idée est fécond »

Des idées à cultiver aujourd’hui lorsque le pèlerin, ravi de rentrer chez lui et de se souvenir des « rencontres » qu’il a faites sur le chemin de Compostelle, oublie bientôt toute cette diversité dont il s’est nourri pour se retrancher derrière la barrière de son jardin, de sa ville, de son département, éventuellemen de sa Région, mais surtout pas plus loin.

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