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La leçon de l'orchidée
Profession de foi sur le lieu d'un martyre

Jacques et Juliette Damville sont artistes et pèlerins. Nous avons parlé d'une de leurs oeuvres, la fontaine Saint-Pierre de Plougastel. Dans l'article suivant, écrit en 2001 pour la revue Céramique et Verre, Jacques nous révèle la genèse d'un ensemble qu'ils ont composé sur la colline Sainte-Hélène, au lieu où un ermite fut martyrisé en 1700, conservé localement comme un pèlerinage.

calvaire sur le Mont Sainte-Hélène par Jacques Damville

Sur une colline dominant la vallée de l'Epte, se dresse un tilleul multicentenaire. Cette colline, appelée Mont Sainte-Hélène, attire le regard et intrigue par l'harmonie et la pureté de son dessin. Rien de surprenant que ce lieu ait été voué à différents cultes depuis la préhistoire. Un calvaire rappelle que tous les ans les habitants de la vallée gravissaient la pente en procession, et cela depuis 1700. Cette année-là, un soir d'hiver de janvier, le tilleul fut témoin d'un terrible drame. Un ermite vivait là dans une petite pièce attenante à la chapelle. On le retrouva mains et pieds brûlés, la tête lacérée par un fagot d'épineux, les membres marqués de nombreux coups d'épée...
J'ai commencé la fréquentation de ce lieu alors que démarrait une campagne de fouilles archéologiques. Loin de me déranger dans mon travail, ces traces d'un culte de l'histoire m'ont stimulé. L'archéologie identifia le corps de l'ermite dans une des nombreuses tombes creusées sur mesure à même le calcaire du sol. J'ai cherché alors des images pouvant m'aider à évoquer cet ermite. A ce sujet, Alain Blondel me sortit quelques superbes vieilles cartes postales représentant des ermites de tous poils. De retour en Normandie, je vais avec Juliette au marché de Goumay-en-Bray. Nous rencontrons... un ermite itinérant ! Vêtu de peaux de bêtes, accompagné de trois chiens et deux ânesses, il nous semble un agrandissement d'une des cartes postales vues la veille. C'est ainsi qu'un authentique « philosophe de la nature », le très inoubliable Wemer Fahrenholz, posa pour trois tableaux. L'irrépressible désir de rejoindre le site de l'arbre, pinceaux en mains, m'a tenu pendant plusieurs années. Ici plus de questions, pas de réponses, seulement le dialogue du vénérable et de la lumière. Le tronc montre comme un traumatisme provoqué par les cris de Jean Sacy.
Mais, au fil des saisons, je sens les jeux de la lumière infuser à travers sa puissante présence, un baume de sérénité. Ce tilleul apparaît comme un « archétype des simples » selon l'expression de Mircéa Eliade. Et avec lui nous constaterons « qu'un arbre devient sacré, tout en demeurant un arbre, en vertu de cette puissance qu'il manifeste », et si pour le contemplateur assidu « il devient un arbre cosmique, c'est qu'il répète en tous points ce que manifeste le cosmos ».
Au printemps 1997, Juliette et moi apprenons que la commune de Saint-Pierre-ès-Champs, propriétaire du Mont Sainte-Hélène a commandé une table d'orientation et que ce gros anneau de maçonnerie sera accolé au vieux tilleul... Notre première réaction est la consternation. Est-il encore temps de proposer une alternative plus... artistique ?

calvaire par Jacques Damville

«L'esprit des lieux » nous habite, nos arguments sont incontournables ! Et finalement le maire nous propose de remplacer le calvaire. Son fût en béton simili bois prend du gîte et risque de « déposer » son Christ en fonte sans se soucier des dates tradi- tionnelles... Vue de l'arbre, cette croix située à quelques dizaines de mètres en contrebas, semble sortir de terre. Le lieu est très chargé, sauvage, c'est intimidant. Mais le dialogue table d'orientation-calvaire réveille les questions essentielles ! Mobilisés au plus profond, nous décidons avec Juliette d'offrir en plus à la commune un troisième élément : une stèle qui permettra à la fois de rappeler le supplice du vieil ermite et de réenterrer ses ossements qui attendent dans des sacs en plastique à la mairie. Elle sera le témoin permanent du questionnement métaphysique : dialectique de l'horizontale de la table et de la verticale du calvaire, le profane, le sacré... Les tortures subies par Jean Sacy font écho à celles du Christ et les actualisent... Le constat de police de 1700 est gravé à l'identique (graphie et orthographe) au dos de la stèle, l'évocation imagée de l'ermite est une sorte de voile de Véronique. Pas de rupture entre le profane et le sacré. La table est pensée comme un petit temple pour honorer la beauté du monde. Son oculus doré qui s'ouvre sur un des supports, fait un clin d'œil à la mandorle dorée de la croix. Les mêmes graphismes végétaux et les gravures d'animaux ornent les deux monuments. Le texte en relief sur le socle du calvaire est choisi « écologique » : Hymne à Frère Soleil de Saint François d'Assise.

En installant les monuments, nous avons été frappés par le fait que les hasards de la topographie créaient une autre trilogie : vieux tilleul - stèle - table d'orientation, plus païenne celle- là. Comme si notre arbre-fétiche nous rappelait qu'il n'avait jamais cesser d'orchestrer notre inspiration et qu'il était, autant que le calvaire, à la source de notre profession de foi : ne pas imposer une esthétique de la rupture mais rechercher l'harmonie et la connivence ; la table devenait un autel dédié à l'émerveillement. Nous nous sommes mis à l'école des orchidées, nombreuses tout autour : repenser la fonction de la séduction ! Nous avons fait poser la belle Ophrys-bourdon. « Séduire, dit-elle, pour féconder ! »


Jacques Damville Bosc-Hyons, 6 novembre 2000

Stèle par Jacques et Juliette Damville
Stèle à la mémoire de Jean Sacy, ermite
table d'orientation par Jacques et Juliette Damville
Table d'orientation du Mont Sainte-Hélène

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