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LE PELERINAGE JACQUAIRE DANS LA NOUVELLE EUROPE


Don Julián Barrio Barrio, archevêque de Compostelle, a publié une Lettre Pastorale à l'occasion de la prochaine Année Sainte 2004.
On peut lire en espagnol le texte intégral de cette lettre, "Pèlerins par la Grâce. De quoi vous entretenez-vous en marchant...? (Luc 24,17)", sur le site de l'archevêché de Compostelle.

Ci-dessous, une traduction des chapitres concernant le pèlerinage et l'Europe.

LA NAISSANCE DE LA CONSCIENCE D’EUROPE DANS LE PELERINAGE A COMPOSTELLE

64.- Le chemin de Saint-Jacques, mémoire de la tradition apostolique.

Le pèlerinage à Compostelle a contribué, sans aucun doute, à l’unité et à l’intégration de l’Europe.
« Le destin du chemin jacquaire coïncidera avec le destin chrétien de l’Europe car le jubilé compostellain fut celui qui recueillit le plus profondément le sentiment religieux populaire de l’Europe chrétienne »[137]. Jean Paul II exprime magnifiquement cette réalité quand il affirme : « L’Europe entière s’est retrouvée autour de la mémoire de Saint-Jacques en même temps qu’elle se construisait comme continent homogène et spirituellement uni. C’est pour cela que Goethe insinuera que la conscience d’Europe est née dans les pèlerinages » [138].

Le Codex Calixtinus décrivait avec joie et admiration au XII siècle, la réunion de représentants de tous les peuples d’Europe autour du tombeau de l’Apôtre : « Avec une immense joie, on admire la grande troupe des pèlerins qui passent la nuit à veiller autour de l’autel vénérable de Saint-Jacques : les Allemands veillent d’un côté, les Français d’un autre, les Italiens d’un troisième, ils ont des cierges de telle sorte que toute l’église est illuminée comme par le soleil d’une claire journée. Chacun ne passe la veillée nocturne qu’avec ses compatriotes. Certains jouent de la cithare, de la lyre, du tympanon, de la flûte ou de la flûte à bec, de la trompette, de la harpe, du violon, de la vielle bretonne ou galloise, du psaltérion, d’autres veillent en chantant toutes sortes d’airs, certains pleurent sur leurs péchés, lisent des psaumes ou donnent des aumônes aux aveugles. On y entend toutes sortes de langues, de dialectes barbares, des conversations et des chants d’Allemands, d’Anglais, de Grecs et des autres races et peuples de l’univers entier. Il n’y a ni mots ni langues dans lesquels leurs voix ne résonnent » [139]. Autour du tombeau de l’Apôtre se rassemblaient des pèlerins venus de France, d’Italie, des pays nordiques, des nations slaves et du Moyen orient, de toute condition sociale et de différents niveaux culturels et spirituels.

 

Devant l’oubli de nos racines chrétiennes, Compostelle devient le but d’un chemin que les pèlerins parcourent pour remémorer la tradition apostolique. Il est nécessaire de donner un espoir aux hommes ; à ceux qui n’en ont pas du tout et aux chrétiens qui ont oublié « à quel prix ils ont été affranchis »[140]. Avec le bagage de leur foi, les pèlerins ont commencé leur voyage suivant la Voie Lactée. Les empreintes de leurs milliers de pas ont marqué la route et ont donné naissance au Camino de Santiago jusqu’à Compostelle « capitale spirituelle de l’unité européenne ». Un chemin qui devra être un courant d’oxygène spirituel et purificateur de l’air que nous respirons pour que la graine du mal devienne stérile et la graine du bien donne des fruits abondants de vie chrétienne.

 

L’HISTOIRE DE L’EUROPE EN RELATION A L’HISTOIRE DE SON EVANGELISATION

65.- La tradition jacquaire, appel permanent à la foi dans le Christ

L’incroyance, la déchristianisation, la sécularisation nous ont amené à une crise religieuse qui a généré la crise culturelle que vit actuellement l’Europe. Malgré la tendance vers une désacralisation radicale de la vision du monde, favorisée successivement par le Siècle des Lumières et les théories matérialistes ou idéalistes, il ne serait pas juste d’affirmer que la dimension chrétienne n’est plus une référence dans nos vies. « L’histoire de la naissance des nations européennes est parallèle à leur évangélisation et les frontières de l’Europe coïncident avec les frontières de pénétration de l’Evangile »[141].

 

Voilà l’Europe qui commença à se former grâce au labeur réalisé par ses Saints patrons Benoit, Cyrille et Méthode avec l’aide précieuse de nombreux monastères dans «l’introduction du message évangélique dans les différentes civilisations». Ce travail contribua à forger un patrimoine chrétien qui, selon le Pape Jean-Paul II, encore aujourd’hui, « donne les bonnes réponses aux nouvelles questions spécialement dans le domaine éthique ». Nous, les chrétiens européens, ne pouvons pas oublier cette réalité[142]. Le pèlerinage à Compostelle a été un des éléments importants qui ont favorisé la compréhension entre peuples européens aussi différents que les latins, les germains, les celtes, les anglo-saxons et les slaves. Le pèlerinage rapprochait, mettait en relation et réunissait des populations, qui siècle après siècle, convaincues par la prédication des témoins du Christ, adoptaient l’Evangile et naissaient en tant que peuples et nations » [143]. La culture jacquaire, s’approfondissant dans son passé et dans son présent, constitue un appel constant à la foi dans le Christ et est, non seulement une enrichissante expérience personnelle, mais aussi un chemin d’espérance dans un monde chaque jour plus solidaire et attentif à ses vertus les plus solides.

 

DECOUVERTE DES ORIGINES DE L’EUROPE A TRAVERS LE PELERINAGE JACQUAIRE

66.- L’Eglise et l’Europe marquées par la même histoire

Dans ce début du troisième millénaire, l’Europe essaye de consolider sa personnalité en tant que peuple, avec des aspirations communes et un futur plein d’espoir bâti sur les piliers de l’histoire et la culture chrétienne. Si une des destinations communes à la chrétienté occidentale fut pendant des siècles Compostelle à travers le Chemin de Saint-Jacques, l’expérience du pèlerinage servira pour rénover et actualiser les liens communs, bâtir la spiritualité chrétienne du nouveau millénaire et acquérir un vécu personnel animé par une sensibilité solidaire et une culture ouverte et moderne où s’épanouissent les valeurs universelles de la doctrine évangélique.

«L’Eglise et l’Europe sont deux réalités intimement unies dans leur destinée et dans leur être. Pendant des siècles elles ont réalisé un parcours ensemble et elles ont été marquées par la même histoire. Dans leurs retrouvailles elles se sont mutuellement enrichies des valeurs qui forment l’âme de la civilisation européenne et qui font partie du patrimoine de l’humanité entière. C’est pour cela que l’Europe ne peut pas abandonner le christianisme comme compagnon de voyage dans son chemin vers le futur, de la même manière qu’un voyageur ne peut pas continuer sa marche sans tomber dans une crise profonde et dramatique s’il abandonne ses raisons de vivre. Comme le Pape l’a signalé à plusieurs occasions, la crise de l’homme ou la femme européenne sont les crises de l’homme ou la femme chrétienne et les crises de la culture européenne sont les crises de la culture chrétienne» [144].

67. L’Europe et ses origines

Nous assistons actuellement aux conséquences de la sécularisation des idéologies qui vont de la négation de Dieu jusqu’au culte du succès économique en passant par les restrictions de la liberté religieuse. Du matérialisme et l’hédonisme, qui s’attaquent à la racine des valeurs de la famille, jusqu’au nihilisme qui empêche de lutter contre des problèmes aussi importants que les nouveaux pauvres, l’immigration du tiers monde, l’usage des moyens de communication, les minorités ethniques et religieuses, les nationalismes fondamentalistes qui amènent au terrorisme. Nous nous rendons compte que « le christianisme vit une situation de crise, de décalage existentiel, de temps de repli et qu’il a perdu son ascendant sur les consciences, son importance sociale, son audience et efficacité publiques, sa présence dans les institutions et son influence dans les conduites ». C’est dans ce contexte qu’une fois de plus on doit se souvenir des mots que Jean Paul II a prononcés dans la cathédrale de Compostelle le 9 novembre 1982 :

« Moi, successeur au Siège de Saint-Pierre à Rome, siège que le Christ a voulu placer dans une Europe qu’il aime par son effort dans la diffusion du christianisme à travers le monde. Moi, évêque de Rome et berger de l’Eglise Universelle, je lance depuis Compostelle un cri d’amour à la vieille Europe : Retrouve-toi ! Sois toi-même ! Découvre tes origines ! Fais revivre tes racines et ranime les valeurs authentiques qui ont fait glorieuse ton histoire et bénéfique ta présence dans d’autres continents. Reconstruis ton unité spirituelle dans un climat de respect des libertés et des autres religions. Donne à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ne t’enorgueillis pas de tes conquêtes jusqu’au point d’oublier les possibles conséquences négatives. Ne t’attriste pas de la perte quantitative de ta grandeur dans le monde ni des crises sociales et culturelles que tu subis. Tu peux, Europe, être encore phare de la civilisation et encouragement pour le progrès dans le monde. Les autres continents attendent de toi la même réponse que Saint-Jacques donna au Christ : « Oui, je peux » [145]

68.- L’unité européenne basée sur les valeurs humaines et chrétiennes.

Il ne s’agit pas de créer une Europe parallèle mais de montrer à l’Europe déjà existante que son identité et son âme sont profondément enracinées dans le christianisme afin de lui donner les moyens de comprendre sa vocation dans le monde.

L’unité de l’Europe durera et profitera si elle est basée sur les valeurs humaines et chrétiennes qui forment son âme commune : la dignité de la personne humaine, le profond sentiment de justice et liberté, le travail, l’esprit d’initiative, l’amour de la famille, le respect de la vie, la tolérance, le désir de coopération et de paix, c’est à dire, l’Europe unie du troisième millénaire. [146]

 

Le système de valeurs (la foi, la solidarité, la charité, le sacrifice, la pénitence, la transcendance) articulé autour du pèlerinage compostellain renforça l’idée chrétienne des relations entre peuples de pays et d’habitudes différentes unis dans la même foi et civilisations encore présentes. L’Europe ne peut pas être considérée comme une simple structure économique basée sur un système monétaire commun. L’unité européenne doit être fondée sur un système de valeurs, individuels et collectifs, où l’existence est considérée comme un cadeau et un labeur pour l’homme où chacun se fait responsable de son prochain et où chaque individu se met au service des autres. Cette certitude doit avoir son reflet dans des politiques humanitaires, généreuses et absentes d’exclusion.

 

Avec ce but, le pèlerinage n’est pas seulement une valeur simple et exclusivement culturelle et historique mais une valeur constitutive et constituante de la civilisation européenne commune. Le pèlerin contribue avec efficacité à la construction de l’unique Europe possible : celle qui possède une référence spirituelle avec ses principes moraux et sociaux, sa culture, son art et sa sensibilité, c’est à dire, celle qui est enracinée et nourrie dans la tradition chrétienne.

 

 traduction Carlos Montenegro


[137] F.ROMERO POSE. « El Jubileo Compostelano », « I giubilei nella storia della Chiesa. Atti del Convengo Internazionale Roma 23-26 giugno 1999 » Libreria Editrice Vaticana, Roma 2001, 90-105.
[138] JEAN PAUL II « La renovación espiritual y humana de Europa » Discours de Jean Paul II dans la cathédrale de Compostelle à l’occasion de l’acte d'européanisme. Madrid 1982. «Juan Pablo II en España. Texto completo de todos los discursos» Madrid 1982, 183-188.
[139] « LIBER SANCTI JACOBI.. CODEX CALIXTINUS » Traduction de B.Gicquel « La légende de Compostelle » Ed. Tallandier Paris 2003, 357.
[140] 1Pi 1,17-20 « Et puisque vous invoquez comme Père celui qui, sans acception de personne, juge chacun selon ses œuvres, vivez dans la crainte durant le temps de votre exil, sachez que vous avez été affranchis de la vaine manière de vivre héritée de vos pères, non par des biens périssables, argent ou or, mais par le sang précieux du Christ, cet Agneau sans défaut et sans tache, prédestiné dès avant la création du monde et manifesté pour vous à la fin des temps »
[141] JEAN PAUL II « La renovación espiritual y humana de Europa », 184
[142-143] ENRIQUE MORENO BAEZ cite Jean Paul II dans « Los cimientos de Europa » Santiago de Compostela 1996, 7-8.
[144] A.SODANO « Los jóvenes de Europa hacia el tercer milenio cristiano. Homelía del cardenal Angelo Sodano en la misa del Encuentro Europeo de Jóvenes » Santiago de Compostela 1999. B.O. n°3535 del Arzobispado de Santiago, 533.
[145-146] JEAN PAUL II « La renovación espiritual y humana de Europa… », 185-186

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