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Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

Les établissements hospitaliers du diocèse de Besançon et  leurs sources

Le 2 mars 2001, Nicole Brocard, maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, a donné une conférence organisée par l’Association des chemins de Saint-Jacques de Franche-Comté. Médiéviste, auteur d’une thèse Soins, secours et exclusion, PUC, 1998, elle a rencontré beaucoup de pèlerins allant d’un sanctuaire à l’autre et elle a, parfois, croisé saint Jacques. Afin de susciter des vocations, elle a introduit sa conférence par un exposé des sources sur lesquelles il convient de travailler. Toutes ses indications seront extrêmement utiles aux chercheurs des autres régions, les cotations d’archives étant les mêmes dans chacun des départements.

Les sources qui permettent d'appréhender l'assistance et l'hospitalité dans le diocèse de Besançon sont abondantes, variées, mais éparses. Certaines d'entre-elles forment des fonds d'une grande richesse, rendant perceptible la compréhension de la vie quotidienne au sein d'hôpitaux importants comme celui du Saint-Esprit de Besançon (conservé pour lors sous la cote 53 J, mais susceptible d'être reclassé dans la série H relative à l'histoire de l'Eglise), l'hôpital de Bracon (fondé en 1327 par Mahaut d'Artois conservé pour la plupart aux archives départementales du Jura, fonds non classé 1,4 m linéaire, quelques pièces aux archives du Doubs, série B (B 2067) et aux archives départementales du Pas-de-Calais (série A)) et le Saint-Sépulcre de Salins fondé en 1431 par Jean de Montaigu (fonds conservé pour l'instant à l'hôpital de Salins, 30 m linéaires). D'autres livrent quelques pièces riches d'enseignement comme l'acte de fondation de Vesoul (G 81) ou se présentent comme de simples mentions glanées à la lecture d'actes aussi différents qu'un testament ou une charte de franchises.

Cette disproportion dans l'information gène la recherche et occulte très souvent le rôle des petits établissements dans le phénomène hospitalier. La liste des hôpitaux recensés est en effet loin d'être exhaustive : elle dépend des aléas de la documentation et de sa conservation. Il est toujours possible de la compléter par des éléments nouveaux retrouvés dans des dépôts d'archives aussi éloignés que ceux du Pas-de-Calais ( également travail de J et AM Courtieu sur les fonds parisiens). Le travail est toujours à reprendre ….
La documentation jusqu'ici analysée se trouve principalement dispersée dans les différents dépôts départementaux (archives départementales du Doubs, ADHS, ADJ, ADTB, ADCO), aux archives et aux bibliothèques municipales de Baume, Besançon, Belfort, Dole, Vesoul, Salins, Montbéliard…et enfin, à l'hôpital de Salins (nous disposons d’un fonds d’archives d’une particulière richesse : 30 m linéaires)

Les sources et leur apport respectif

¨      Achats, ventes, échanges, rentes, procès

Renseignent sur le domaine des établissements, les difficultés à maintenir en état les bâtiments et les terres (périodes de guerre, de peste….) ; mais les actes donnent des indications allusives sur les assistés qualifiés parfois de "pauvres du Christ", de "pauvres miserables personnes"; on évoque encore la grande foule des assistés, les enfants abandonnés, surtout au XVe siècle.

¨      Terriers, inventaires

Inventaires de Saint-Julien, Dole, Gray, Chaussin, Saint-Sépulcre de Salins ; riches d'enseignements sur les hôpitaux et l'accueil qu'ils peuvent offrir ; intéressants pour comprendre le fonctionnement (granges, bétail, description des cuisines)

Les inventaires peuvent renseigner sur l'allure des bâtiments : description pièce par pièce ou pièce après pièce ; sur le mobilier donnent aussi une idée de la capacité d'accueil à un moment donné (nombre de lits et de linceuls; nombre de paillasses et de matelas de plume), ce qui ne signifie pas que le nombre de lits a toujours été celui là. Il décrit le mobilier de la chapelle, les reliques, les livres et en particulier le livre d'exorcisme. Ces inventaires sont réalisés à la mort d'un recteur ou lors d'une mise en amodiation : tel est le cas de Chaussin en 1456.

Terriers : les terriers conservés concernent surtout les grands hôpitaux, Saint-Esprit de Besançon et Saint-Sépulcre de Salins ; ils renseignent sur les domaines, mais aussi sur l'allure des bâtiments : exemple de Salins

¨      Privilèges et confirmations

-          Bulles papales ; privilèges des ducs et des comtes de Bourgogne ; privilèges du roi de France

Ces actes éclaircissent sur les motivations avouées du fondateur (échanger des biens terrestres contre des biens célestes) qui donne le surplus des biens que Dieu lui a confiés (conformément à la littérature sapientale) ; ils mettent en avant la vertu du don : (l'aumône éteint le péché aussi sûrement que l'eau éteint le feu), insistent sur la philosophie de l'aide au prochain et renseignent sur l'accueil offert, les locaux et les pauvres reçus (ou du moins la destination de ce type d'établissement) (misérables personnes, pauvres ouvriers de la saline, pèlerins, passants, veuves, orphelins, vieillards…). Des comptes de Salins renseignent sur la manière d'obtenir ces privilèges et sur le prix à verser.

¨      Actes de donation, testaments

-          Testaments de l'Officialité publiés par Ulysse Robert ; testaments du fonds du Saint-Esprit et du fonds du Saint-Sépulcre

Les actes de donation comme les testaments renseignent sur les pauvres que l'on voudrait assister ou qu'il est d'usage d'assister ; ils révèlent les motivations des donateurs par rapport au salut de leur âme. Mais les actes reflètent-ils la réalité de l'accueil ?

¨       Comptes (Saint-Esprit début XVIe siècle, Saint-Sépulcre, fin XVe siècle)

Les comptes permettent de voir l'implication de certaines municipalités dans la gestion hospitalière au XVe siècle (exemple Montbéliard) ; il est possible d'en analyser la tenue et la rigueur

 Si le compte des recettes permet de compléter les appréciations sur le domaine et les revenus de l'hôpital (fruits du domaine, offrandes, quêtes), le poste des dépenses permet d'approcher la vie des assistés et du personnel : nombre des enfants reçus (Besançon), nourriture offerte, (Montbéliard), spectacles offerts (mystères), décès, ensevelissements…. personnel à demeure, rémunération du recteur (Montbéliard) serviteurs et servantes (tâches leur étant attribuées)

¨      Actes de fondation (comparaison acte d'Hesdin) (Bracon, Vesoul, Salins, Montaigu pour les actes les plus représentatifs) (chronologie des fondations)

Les actes de fondation du XIIIème sont peu détaillés (Rochefort, Monnet, Saint-Julien, Orgelet, Arinthod…, les fondations de Jean de Chalon-Auxerre ; on sait seulement que le fondateur veut qu'un autel y soit dressé à l'intention de la glorieuse Vierge Marie ; on connaît encore quelques dons accordés à la fondation (fruits ) ; ceux des XIVe et XVe siècles sont en revanche plus explicites : Mahaut d'Artois décrit avec précision la localisation de son établissement, sa dotation (y compris sur des biens qui autrefois appartenaient à des juifs de Salins), elle évoque les habitudes en matière de construction hospitalière) ; le titre de fondation de l'hôpital de Vesoul renseigne sur les pratiques religieuses, l'usage des livres (entre autres) mais le fonds d'archives de l'hôpital du Saint-Sépulcre de Salins, avec ses 3 actes dits de fondation, fourmille d'indications précieuses. Ainsi, parmi les pièces essentielles, il renferme :1)un acte de fondation daté du 5 mai 1431. Extrêmement détaillé, ce dernier décrit d’abord les locaux, le décor, le mobilier et, dans des articles numérotés de 1 à 35, il définit les modalités de fonctionnement. Puis il énumère longuement la dotation avant de fixer les accords relatifs aux droits d’inhumation (60 pages dactylographiées). Ce titre est complété par deux « actes dits de deuxième et troisième fondation » de 1438 et 1455, deux documents qui témoignent de l’accroissement de la dotation initiale, de la volonté de construire de nouveaux locaux et de corriger les abus. Le Saint-Sépulcre de Salins, hôpital fondé en 1431, le plus vaste de tous ceux édifiés dans le diocèse à la même époque : Gy (vers 1460), Ivrey (1411), Quingey (vers 1450), Montaigu (1453), Montbozon (1452), Vesoul (1443), Villersexel (1445). Son fondateur, Jean de Montaigu, homme fortuné et dévot, que Philippe le Bon qualifie de « bon amé » érige un hôpital qui frappe ses contemporains par l’ampleur de sa dotation qui le range parmi les 2 grands hôpitaux du diocèse, par sa taille et sa capacité d’accueil équivalente à celle des Hospices de Beaune (30 lits), et pour lequel nous analyserons les constructions et leur rapport avec la conception de l’assistance.

En effet, le fonds d’archives qui nous est parvenu, abondant, singulièrement bien conservé et d’une grande cohérence, autorise une approche assez sûre de l’histoire de cet hôpital, de son fonctionnement et au-delà, de son architecture et de l’accueil qu’elle conditionne. Il laisse percevoir aussi l’idée inverse d’une conception de locaux assujettie à une vision de l’assistance à offrir.

¨      Délibérations municipales (série BB) ou procès de la ville envers un recteur d'hôpital

Elles sont surtout conservées en ce qui concerne les grands hôpitaux ; elle font état parfois au XVème de conflits entre les recteurs d’hôpitaux et  les municipalités (Besançon, série BB opposition entre les co-gouverneurs et le recteur au sujet de l’accueil d’un malade qui a été chassé, au sujet du gage des reliques, au sujet du soin à accorder aux enfants abandonnés - début XVIème ; Salins, le recteur de l’hôpital Saint-Bernard de Montjoux, Antoine de Bletterans, est décrit comme brutal, cupide, n’offrant pas l’hospitalité, chassant les pauvres, les battant à l’occasion et ne respectant pas les statuts. AHS, F 21)

¨      Visites postérieures à la période médiévale ; union et réunion à l'ordre de Saint-Lazare

Pour la connaissance des hôpitaux médiévaux, il ne faut pas négliger les sources modernes qui peuvent être d'un grand secours pour donner la connaissance d'un établissement dont les archives médiévales ont gardé peu ou pas de traces. Les principales sont les procès-verbaux de visites d'établissements religieux et hospitaliers. En ce qui concerne les établissements du diocèse, une enquête de 1583 s’informant des revenus des abbayes, des prieurés et des hôpitaux (ADD, II B 574, répertoire du parlement de Dole) permet d’approcher la taille et des établissements et d’en rapporter l’allure « exemple une chétive maisonnette à laquelle est jointe une chapelle »

Le fonds documentaire évoqué dicte le plan qui suit : il conduit implicitement à analyser dans un premier temps l’allure de l'hôpital et la vision de l'assistance. Une dernière partie sera consacrée aux assistés, du moins à leur accueil tel qu’il transparaît dans les actes de fondation.

L'hôpital tel qu'il transparaît

¨      Allure de l'établissement ; localisation

Au XIIIème et encore au début du XIVème, les hôpitaux fondés occupent majoritairement des sites de portes, de voies de passage, de pont, de gué, de col (les hôpitaux Vieux près de Jougne), et peuvent ainsi comme le souligne plus d’un siècle plus tard Philippe le Bon répondre à un accueil de jour et de nuit. Pourtant cette vision d’une assistance offerte en permanence à tous et en particulier aux passants, doit être immédiatement corrigée par la capacité d’accueil des établissements. En effet, la majorité des établissements du diocèse même lorsqu’ils sont fondés plus tardivement au XVème apparaissent comme des établissements de petite taille  (entre 2 et 6 lits). Tel est le cas de Vesoul dès sa fondation en 1443, tel est encore le cas de Dole d’après les inventaires (4 lits), de Chaussin , d’après un inventaire de 1456 (Chaussin qui par ailleurs a toujours été considéré comme une petite maison), de Bletterans, de Montaigu, de Nozeroy, d’Ivrey, de Pontarlier. Seuls les hôpitaux de Gray (16 lits en 1436), de Lons (12 lits), de Salins (30 lits pour le Saint-Sépulcre dès sa fondation en 1431) et de Besançon (plus de 40 lits au XVe siècle)

Cette observation conforte l’idée que la majorité de ces établissements de dimensions réduites s’assimilent pour certains ou pour beaucoup d’entre eux à des hospices routiers où l’assistance se peut que se limiter à l’accueil des passants et des voyageurs. A titre d’exemples d’ailleurs, ceux de Bletterans, Ruffey, Saint-Laurent-la-Roche ou Saint-Julien se destinent principalement à leur réception.

L’hôpital du Saint-Sépulcre fondé au XVème respecte un certain nombre des critères de choix de localisation vus antérieurement . Lors de sa fondation à Salins (Jura - diocèse de Besançon) en 1431, il a été installé dans un lieu jugé par Philippe le Bon « convenable » et propice à l’assistance, donc apte à construire un hôpital. Salins en effet est, selon le duc,  la meilleure ville de son comté pour 2 raisons : à cause de ses salines  et de sa situation traditionnelle sur un «grand chemin », sur l’itinéraire de la Champagne à l’Italie par le Grand-Saint-Bernard, dans un passage obligé au fond d’une gorge étroite dans laquelle coule la Furieuse, affluent de la Loue.

Pourtant par rapport aux établissements fondés antérieurement au XIIIème, le Saint-Sépulcre, d’après le titre de fondation de 1431, est situé à l’intérieur de la ville, lieu choisi désormais de préférence par rapport aux anciens sites évoqués plus tôt par peur des guerres, des routiers, des étrangers susceptibles d’amener avec eux l’épidémie. (Arbois, Poligny, Montbéliard) à l’intérieur du Bourg-Dessus de Salins, dans un espace jouxtant la Grand Rue et la Grande Saline. Celle-ci, avec le Puit-à-Muire et la Chauderette de Rosières, fait partie des trois entreprises de sel qui font de Salins aux XIVe et XVe siècles, le plus grand producteur de sel de Franche-Comté. Il a la possibilité de rejeter ses eaux usées dans la Furieuse toute proche par l’intermédiaire d’un conduit qui passe sous la saline avec l’autorisation du duc de Bourgogne.

Cette installation « intra-muros » du Saint-Sépulcre, tout comme celle envisagée pour les hôpitaux de Vesoul et de Montaigu fondés dans la même période occasionne diverses répercussions sur l’évolution de l’hospitalité : naturellement, l’accueil s’en trouve limité. Il se veut désormais plus sélectif, s’adressant préférentiellement à de «bons pauvres » incapables de gagner leur vie, tant la charité se doit d’être efficace et ne peut gaspiller. La réception est accordée aux «pauvres connus », aux plus miséreux, aux plus impotents, aux plus estimables. C’est pourquoi les officiers de la saline insistent en 1443 sur la nécessité d’offrir «un accueil préférentiel» au sein des établissements de la ville de Salins, aux « povres menuz ouvriers de la saline meritans » dans l’incapacité de travailler, suite à leurs blessures, leur maladie ou leur grand âge.

A– Des hôpitaux « en mode et forme de maison-Dieu ».

1) des usages de construction.

             Il semble, à la lecture des actes de fondation du XVe siècle , que les fondateurs se conforment à des habitudes précises en matière de construction hospitalière lorsqu’ils créent leur  établissement, qu’il soit ou non de grande taille (Vesoul, Poligny, Montaigu, Saint-Sépulcre de Salins. A Salins, après avoir déterminé avec soin la localisation, le fondateur choisit en effet un plan, «en mode et forme de maison-Dieu » et décide la construction d’un édifice rassemblant sous le même toit une chapelle consacrée et une nef pour les pauvres dans son axe longitudinal ; il veut encore un autre corps de bâtiment affecté aux cuisines, aux âtres et au logement du personnel, ainsi que l’aménagement d’un cimetière

L’option prise à Salins pour la construction du Saint-Sépulcre n’est pas unique au XVe siècle  dans le diocèse de Besançon.  Tel est le cas à Poligny , à Vesoul et à Montaigu : A Poligny, le recteur s’engage « a y faire et edifier une chapelle et l’autel pour y faire chanter a l’un des bouts d’icelle maison et y faire les fenestres et verrieres y appartenans et necessaires. Faire devant icelle chapelle, le dortoir des pauvres… ». Plus intéressant encore : dans l’hôpital établi à Vesoul en 1443, le fondateur s’ingénie lui aussi à faire correspondre dans le plan de sa maison, chapelle et salle des pauvres pour mêler exigence de secours spirituel et soulagement du corps.  Ceci est dit explicitement. Il veut "que les pauvres puissent voir Dieu en la chapelle." A Montaigu en 1453, Jean de Montaigu ordonne d’abord que soit édifiée une chapelle consacrée avec un clocher et une cloche, puis construite une nef contiguë à celle-ci pour recevoir les pauvres. En son extrémité, il fait placer une cheminée pour  rendre également l’endroit apte à devenir une salle à manger.

            Ces quatre hôpitaux se veulent véritablement des «maisons de Dieu » répondant à la souffrance des indigents au sens le plus large du terme et offrant avant tout un réconfort à l’âme.

Dans ces quatre cas - où la conception architecturale n’est pas sans rappeler celle des hospices de Beaune- l’élément déterminant de l’hôpital est un édifice rassemblant dans une même unité, l’autel et les lits des assistés. Même lorsque la chapelle ne se trouve pas dans le prolongement de la nef, elle est dans son environnement immédiat.  La structure et la forme des établissements hospitaliers ont peu évolué dans le diocèse au cours des XIVe et XVe siècles. En ce qui concerne le Saint-Sépulcre, il se veut déjà une « église ». Les inventaires des plus petits hôpitaux décrivent en priorité la chapelle avant d’aborder la salle des pauvres.

2) A Salins, une chapelle somptueusement décorée prolongée par une nef.

Elle est ainsi décrite dans le 1er acte de fondation en 1431

« Dans la partie antérieure de l’édifice, vers la Grand Rue, écrit Jean de Montaigu, que soit béni et consacré un endroit pour y établir une chapelle et qu’y soit placé un autel avec au-dessus, un remarquable sépulcre de pierre en mémoire de la Passion de Jésus-Christ. »

« Que Ie chœur, isolé par une clôture, soit pourvu de stalles pour que les heures puissent être chantées. »

Ces indications, à la fois précises et sommaires, sont heureusement complétées par celles d’un terrier de 1532, plus explicites quant à l’orientation : jouxtant la Grand Rue et séparée du reste du bâtiment par un jubé, la partie dévolue au culte est disposée vers l’Est, comme le sont les églises ; les premiers rayons du soleil éclairent ainsi le chœur pour les prières matinales et les messes que le fondateur veut belles. A cet effet, il obtient le privilège pour les chapelains de porter l’aumusse et en 1438, il ordonne que soit nommé un maître de chant « ydoine, habile et expert » pour organiser les services . Il développe d’ailleurs dans son titre de fondation, des paragraphes importants relatifs à tout ce qui pourrait « embellir » les cérémonies dans la chapelle. Le décor et le mobilier sont détaillés avec soin, rigueur et vigilance à travers de multiples mentions quasiment classées. Celles-ci, évoquées en étroite relation avec le plan « en forme et mode de maison-Dieu », participent à suggérer l’espace et l’atmosphère du lieu et sont, dans l’esprit et la logique de Jean de Montaigu, indissociables de celle de la structure du bâtiment  avec lesquelles elles sont naturellement étroitement combinées dans le texte.

Mobilier de la chapelle et décor

La chapelle est équipée en calices, ornements d’autel, vêtements liturgiques, vases, chandeliers, dont le nombre et la qualité varient en fonction de la taille de la maison. Mais quelle que soit cette maison, grande ou petite, les actes (titres de fondations ou inventaires) insistent surtout sur la dotation en livres et en reliquaires ainsi que sur leur possession.

• Les livres.

            Les actes de fondation de Salins, de Vesoul ou de Bracon (distants d’un siècle) montrent que ces livres apparaissent aussi indispensables que les calices et autres vases liturgiques. Ils font partie du bâtiment et de l’institution (Mahaut d’Artois). Jean de Montaigu en donne seize, parmi lesquels trois missels, deux antiphonaires, deux psautiers, un évangéliaire interprété selon  Nicolas de Lyre et un livre d’exorcisme. (acte de fondation)

• Reliques et reliquaires.

Indispensables à l’équipement d’une chapelle d’hôpital, on trouve leur trace dans tous les inventaires de petits et grands établissements. Le Saint-Sépulcre, lui, est doté somptueusement dès l’origine. Sensible à tous les thèmes concernant la Passion, la Mort, la Crucifixion et aussi par là-même la Résurrection, Jean de Montaigu lui procure une épine de la Sainte Couronne, des morceaux de la Vraie Croix, du « sang miraculeux Nostre Seigneur », mais encore des restes vénérés de saints qu’il fait enchâsser dans des reliquaires d’argent. le Saint-Esprit de Besançon n’est pas en reste dans la possession de ces reliques (fragment de la Vraie Croix, reliques de saint Eloi, sainte Madeleine, sainte Marguerite)

• Le clocher et la cloche.

Tout hôpital en est pourvu. (titres de fondation et inventaires) La cloche est citée en premier dans l’inventaire de Saint-Julien. Elle sert évidemment à rythmer et à embellir les prières mais surtout à en assurer la régularité la plus grande.

3) Une nef subordonnée et contiguë à la chapelle.

Les liens architecturaux dépendants et étroits qui l’unissent à la chapelle sont affirmés dans les actes de fondation. Ils illustrent l’importance de la signification religieuse et spirituelle de l’accueil hospitalier.»

 B- Les assistés et l’accueil à leur réserver

Les actes rendent compte de la réalité vécue à l’hôpital et de l’assistance concrète à accorder aux miséreux et aux populations. A l'hôpital de Bracon, Mahaut d’Artois décrit en 1327 la porterie où deux serviteurs doivent se tenir pour distribuer de la nourriture aux pauvres. On voit les pauvres tels qu'ils apparaissent dans les textes (deux périodes sont à considérer en priorité au regard des actes : le XIIIe siècle et les XIVe et XVe siècles avec un éclairage plus singulier sur le XVe siècle)

Soins et secours ; personnel

L’usage et la théorie, lors de la réception, veulent que toute personne reçue dans un établissement soit interrogée sur ses origines et sur son état. ( est-il hérétique, pèlerin, malade ?….). Dans un établissement d’importance comme le Saint-Sépulcre ou le Saint-Esprit, l’identité de la personne reçue et la nature de l’accueil sont consignées dans un registre. (allusions à cette pratique dans la comptabilité). Tous les pauvres dont font partie les pèlerins doivent se soumettre donc à deux usages en vigueur : l’interrogatoire et la confession. Ainsi après avoir répondu sur la question de l’excommunication, ils sont confessés et admis dans l’établissement l’accueil est réservé à des Chrétiens qu’il convient, certes de chauffer, de soigner, d’alimenter, mais aussi de guider sur la voie du Salut. Ils reçoivent donc conjointement soins du corps et secours de l’âme.

            Les soins du corps consistent avant tout à apporter nourriture suffisante et équilibrée ainsi que chaleur et repos.

·         Nourriture

Les actes de fondation de Bracon et du Saint-Sépulcre de Salins précisent  que les pèlerins doivent recevoir journellement, après visite du recteur dans un cas ou de la maîtresse des pauvres dans l’autre, vin, pain et pitance, viandes utiles et convenables, tout comme aux femmes venant d’accoucher. Ils ont droit à une ration de nourriture plus riche que celle  attribuée aux mendiants qui passent.

·         Repos et chaleur.

Le pèlerin est aussi couché. L’acte de fondation de l’hôpital de Montaigu mentionne que tout pèlerin a droit au gîte et au repos. Pour les chapelains, les recteurs d’hôpitaux comme pour les médecins, le repos fait partie d’un régime équilibré. Il calme à la fois l’esprit et le corps, conforte la chaleur naturelle, à condition de ne pas trop la prolonger. Par ailleurs, le sommeil retient la chaleur innée, humidifie et relâche les voies du corps, écarte la fatigue, favorise la digestion. A ce propos, il est conseillé d’élever la tête à l’aide d’un coussin pour favoriser la descente des aliments. La chaleur des couvertures, particulièrement sur les pieds favorise cette même digestion.

·         Soins médicaux.

Tout pèlerin malade et tout malade est accueilli jusqu’à sa guérison ; il est soigné à l’aide d’herbes, de simples, de potions. Les femmes en couches sont reçus jusqu’aux relevailles. On lui prodigue aussi une assistance spirituelle.

                  Les soins de l’âme

Tout pauvre entrant dans un hôpital, à plus forte raison tout pèlerin, est un être souffrant qui peut connaître le découragement ou le désespoir ; aussi le rôle de l’hôpital est de lui apporter le réconfort, car pense-t-on, toute souffrance bien acceptée est source de salut. Au Saint-Sépulcre de Salins, pour lequel nous possédons des archives sur ce point, comme en théorie d’ailleurs au sein des autres hôpitaux, le personnel exhorte à prier Dieu, à prendre patience, à rejeter toute forme de désespoir (« je crains pour le salut de ceux qui se mettent en désespoir), à rejeter toute tristesse ou révolte, à considérer que la prospérité fait oublier la finalité de la vie car elle plonge les hommes dans une vie de mondanité préjudiciable au Salut. Un chapelain du Saint-Sépulcre écrit vers 1460 (B M Salins, Ms 12) : « les tribulations, maladies, povretés ou guerres….sont souvent plus profitables que trop grande prospérité ».

On imagine alors fort bien quel pouvait être le discours tenu aux pèlerins lors des deux visites que le recteur devait obligatoirement leur faire, matin et soir. Enfin, l'hôpital doit lui offrir la possibilité d’être enseveli décemment en terre chrétienne en cas de décès après avoir reçu les derniers sacrements et le soutien de la communauté hospitalière. Ainsi, l’hôpital écarte des pèlerins mourants l’inquiétude devant le fait que le corps pourrait pourrir sans être inhumé, comme celui des excommuniés et des suppliciés. Le décès de chacun doit être salué par l’ensemble des pauvres reçus dans l’établissement et par le personnel qui accompagne le défunt de ses prières. A Montaigu, le chapelain est tenu en outre de recommander les âmes en récitant à voix basse trois « Kyrie Eleison », le « Tu n’entreras pas en Jugement » ainsi que les 7 psaumes de la pénitence. Chaque lundi, il doit encore se rendre sur les tombes des pauvres décédés à l’hôpital, de les asperger d’eau bénite et dire le psaume « de Profundis »

Est-ce ainsi que les pauvres étaient en réalité reçus ?

C- Abus, dysfonctionnements, réalité de l'assistance.

            Pourtant quelques données relatives au domaine et à la médiocrité des revenus de nombreux petits hôpitaux, l'allure générale d’établissements comme celui de Chaussin, leur taille enfin, posent d'emblée et de manière concrète la question de la réalité de l'assistance offerte et ce, dès le début de leur existence. Les quelques «pauvres» susceptibles d'être reçus là, bénéficient-ils réellement de soins ? Sont-ils accueillis comme des intercesseurs aptes par leurs prières à participer au salut du riche qui compatit à leur sort ? Eudes de Chaussin, Mahaut de Chaussin et les autres donateurs insistent pour préciser qu'ils donnent «en pure aumône», pour le leur salut et celui de leurs ancêtres, en considération certes des œuvres de charité, mais sans évoquer jamais de manière précise le soulagement concret des miséreux. Le vocabulaire employé par eux dans les actes est stéréotypé, empreint des images véhiculées dans les paraboles des Evangiles comme celle du pauvre Lazare. Ils sont en fait interpellés en tant que Chrétiens à corriger les injustices de la fortune et, réfléchissant sur le sens des richesses et de l'avarice, passion dévastatrice qui les expose à la damnation, ils accueillent des pauvres dans leurs hôpitaux qui eux en retour, se doivent de prier pour l'âme de leurs bienfaiteurs en remerciement des largesses obtenues. En fait, ils donnent  aux pauvres pour Dieu et à Dieu par eux.

            Se pose encore le problème de la survie d'établissements petitement dotés aux XIIIe et début du XIVe siècles face aux crises aiguës de la période suivante. Peut-il encore offrir une assistance en adéquation avec une misère croissante, liée aux pestes (1348, 1360), aux guerres et aux courses de routiers et d'écorcheurs (1360-70 ; 1435, l’hôpital de Gray est incendié), à la mauvaises conjoncture économique ? La conjonction des guerres et des chevauchées à travers le diocèse a contribué grandement à accroître le nombre d'indigents parallèlement à celui des ruines hospitalières, dont les revenus sont en outre détournés ou amoindris. Sur 33 hôpitaux répertoriés, 3 sont signalés délabrés entre 1363 et 1376, 12 entre 1435 et 1459 et enfin, 11 entre 1479 et 1484. Inlassablement, les suppliques à la papauté montrent que le temporel de ce type d'institutions tourne «en mendre valeur». Les seules indications que nous ayons sur l’hôpital de Chaussin pour cette période nous sont fournies par l'inventaire de 1456. Sans signaler pourtant de destruction, il indique la pauvreté du lieu. L'acte d'amodiation de 1485 contracté avec un écrivain signale quant à lui des terres non entretenues et retournées à la friche ; cet accord passé témoigne néanmoins du soin apporté à rechercher des tenanciers solvables, capables de maintenir terres et édifices en bon état.

Un acte concernant l’hôpital de Saint-Bernard de Salins montre un recteur batailleur et brutal ; Philippe le Bon constate que les gens meurent de froid et de faim à Salins vers 1435.

De nombreux hôpitaux ont été caractérisés par leur petitesse et leur pauvreté de revenus ; en conséquence, leur rôle au XIIIe siècle et au début du XIVe siècle a dû se limiter à l'accueil de quelques pauvres dont il convenait de soulager la détresse en conformité avec les Ecritures. Leur modicité même en fait une illustration concrète de l'élan de miséricorde qui a contribué à fonder partout au XIIIe siècle et jusque dans les campagnes, des lieux d'assistance «piteables». Les grands hôpitaux situés en ville comme le Saint-Sépulcre et le Saint-Esprit sont de plus en plus contrôlés par les municipalités.

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