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Accueil mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

Un exorcisme à Saint-Mathurin de Larchant en 1601

En 1601, dans l'église de Larchant, pendant six semaines, eurent lieu pendant six longues semaines des séances d’exorcisme visant à débarrasser du démon Mathurin Dupetit, en proie à une démence furieuse. Voici le résumé du procès-verbal de 22 pages qui en fut dressé par le curé
6 août

« Mathurin Dupetitz estant venu à l'église dudict saint Mathurin, il y fut environ une bonne heure à dire son petit service et comme il vouloict lire la vie et légende de Monseigneur sainct Mathurin, le démon se prend à cryer selon sa coustume. Et luy fut faict par le vicaire commandement de permetre à la créature de lire et pryer dans ladicte légende ; à quoi respond le démon : « II me tormente, qu'il se taise ». Et luy faict jecter loing la dicte légende. Alors je luy fais impératif commandement de luy permetre de pryer, à quoy, avec adjuration il obéist et tout à l'instant, touttes fois, il jexte derechef la dicte légende et se lève, s'enfuyant de l'église. Et s'en fust allé, n'eust esté arresté par Maistre Vincent Amyot et Maistre Estienne de La Rivière. Et après que j'euz cellebré la messe, le vicaire faict comunier la créature more solito, avec deffences audict Astaroth de ne poinct inquiéter et empescher icelle, sur les peines de l'excomunication majeur et mineur, ains de fyur devant la face de Dieu »
Le vicaire adjure le démon et lui demande son nom.
« Je l'adjure qu'il eust à me dire son nom et respond : « Astaroth » ; je lui demande s'il estoict seul, et respond : Etiam, et adjure d'où il venoict, a responsif : « De ce corps » Et je luy a faict commandement de venir en la main senestre, lequel vint à la main dextre ; et estant adjuré, il obeist et vint à ladicte main dextre et la bransloict devant et la monstroict au peuple combien que la créature feust en fureur »

7 août
Le dialogue se poursuit longuement, en latin et en français. Des prêtres de passage interrogent le démon et continuent à insister pour savoir comment il se nomme.
«Puys, affin de congnoistre davantage son nom, on luy a [crié]son nom fort souvent et failloit allors neuf ou dix hommes pour le tenir, encores ne le pouvoient-il pas tenir»
Le démon se plaint d'être combattu par l'archange Gabriel qui se tient avec lui dans le corps de «la créature» et il se dit lui-même tourmenté.

12 août
Le possédé est conduit à la procession annuelle et le démon l'agite. II essaie de le précipiter dans un puits et dans les fossés de la ville.

« La messe parroissialle cellebrée par Messire Guillaume Grosboel, auparavant ayant faict la procession qui fut à la grande cité à l'occasion de la feste de la dedicasse, où le pauvre homme posseddé fut mené et pandant icelle, le démon voulut précipitter dans ung puitz appellé le puitz Dufour, et estant près de la croix, appellée la croix Caumet, il prist la course jusques à la porte de Melun, où il fut suyvy habillement de six ou sept hommes qui l'empeschèrent de le fère précipiter dans les fossez dessoubz le pont de la porte. Puys fut admené avec grande force à l'église et estant à l'église durant ladicte messe, ne fist aucun bruict sinon quand ung Cordellier accompaigné de deulx aultres qui estolent du pays de Savoye et venoient des estudes de Paris, fist la prédication. Lequel démon dist : « Tays-toy, tays-toy » puys fut adjuré de dire où il estoict et dist : « Au coste gaulche ». II luy est faict commandement permettre à la céeature qu'elle reçoyve son Créateur, et à grande difficulté il a obtempéré ».

13 août
Le lendemain, Mathurin DUPETIT se confesse avant la « messe haute de Saint Mathurin » ; tous ces moments sont entrecoupés de dialogues avec Astaroth. On voudrait bien que ce dernier fasse un signe extérieur, à une vitre. « En quelle forme sortiras-tu ? - lnvisiblement - II faut que tu sortes en fumée » mais Astaroth se dérobe toujours. II n'est rien relate d'autre jusqu'au 28 aout.

28 août
« L'adjuration a esté continuée par le bon père Paphe et ce après avoir adjuré l'Esprict Maling, luy a faict commandement d'aller au bras droict et de parler par icelluy et s'est pris à cryer fort hault en disant : « je brusle » et luy a faict derechef commandement d'aller audict bras et de parler et a dict : « Nenny » ; Et comme luy commandoict sans cesse qu'il parlast par ledict bras luy disant : « Tu peulx aussi bien parler par le bras comme tu faisois aux Indes par les ydolles » Et le démon responsif : « Je n'ay plus ceste force-là, elle m'a esté ostée depuis » Interrogé où il est, a dict : « Je suys dans l'espaulle »
Lorsqu'il lui est commandé de parler par le bras ul nom de Jésus, le démon répond : « Ce nom est très admirable, terrible aux méchants et excellent aux bons ». On lui montre des reliques, il est adjuré par le Père, le Fils et l'Esprit Saint de dire de qui sont les reliques. II répond exactement : de Mathurin, puis du père, puis de la mère de saint.

29 août
La créature communie malgré la résistance d'Astaroth. On demande au démon où il est mais c'est « la créature ayant ses sens » qui montre le lieu où il est. On applique les reliques à cet endroit, ce qui ne plait pas à Astaroth. Le vicaire donne ce qui ressemble a une absolution collective :
« Ledict jour je commence à adjurer le démon. Auparavant je donne l'absolution au pauvre homme posseddé et aussy à toutte l'assistance qui avoient dict leur Confiteor par mon commandement »

10 septembre
« Passant troys pellerins allant à Romme qui estoient sçavoir deulx du pays d'Escosse et l'aultre d'Espaigne dont les noms sont icy dessoubz nommez, nous les avons pryez d'interroger le démon en leur langue chacun particulièrement, ce qu'ilz ont faict après avoir invocqué l'aide de Dieu et pris la bénédiction du vicaire susdict. Le plus aagé d'iceulx, nommé Jacques Estuard (Stuart), gentilhomme escossoys, a premièrement interrogé ledict démon en sa langue, luy demandant la cause et pourquoy il estoict entré dans ce corps... Plus l'aultre qui estoict Espaignol, nomme Lucques de Auchayres, lui a commencé à dire: « Astaroth, hable me Espaignol . Et a dict : « Nenny » ; Hable, hable me, responde me Espaignol « Nenny » Et voyant iceulx pellerins qu'il ne leurs vouloict autre chose respondre, s'en allèrent iceulx pellerins.

12 septembre,
Le curé de Guercheville dit la messe pour « la créature » et reprend l'exorcisme. Il demande à Astaroth si c'est saint Mathurin qui l'empêche de sortir. Il refuse de répondre, « faisant des hurlementz, en tendant les mains de la créature, voulant agripper les surpliz des prestres qui estoient auprès de ladicte créature, et ne voulant nommer sainct Mathurin, a esté néantmoings contrainct par adjuration de dire, et a dict par une véhémente voix par troys foys : « sainct Mathurin ».

14 septembre
Astaroth avoue qu'il a essayé de plonger la créature dans le désespoir

«mais je ne sceu. Il ne m'a pas voulu croire. Je lay conseillé de se tuer durant toutte la nuict. Ceste créature estoict bier si faschée de quoy je ne respondois poinct qu'il ne sçavoict que dire et je luy faisoys accroire que ce n'estoict que toutte sorcellerye et nigromancie, et je lay faict en aller de la messe quand on est allé à la procession et, à la mesme heure, je lay solliciter de se tuer et je n'ay sceu touttes foys. Je feusse venu ceste nuict au-dessus de mes intentions n'eust esté que la créature avoict hyer adoré du bois de la Vraye Croix. Ceste croix avoict este apportée par le Sieur de Chastenoy».

Aux questions en latin le démon répond en français et pourtant, remarque le vicaire de Guercheville

« Je suys esbahy comme il y en a qui ne croyent pas que c'est ung diable formé qui est dans ceste créature, qui n'a poinct aprys le latin et touttes foys il respond en françoys bien à propos du latin à quoy on l'interroge »

Le cure de Châtenoy l'interroge même en breton et l'atteste par un certificat :

«Je certiffie avoir interrogé le demon Astaroth dedans l'église de Monsieur Sainct Mathurin de Larchant en langue bretonne, pourquoy il avoict usurpé et ravy le corps de ceste créature. Il m'a respond qu'il n'a poinct usurpé et que Gabriel l’a introduict. De plus je lay interrogé : « Combien il y a de temps que tu possèdde le corps ?»

A dict : « Six sepmaines et deulx jours ». Plus l’ay interrogé combien de temps il avoict encores à le possedder. A dict qu'il ne sçait rien sinon tant qu'il plaira à Dieu le metre hors par Gabriel. Item je lay interrogé derechef pourquoy il avoict usurpé la créature qui est à Dieu et luy apartient. Et m'a respondu et dict qu'il n'a pas usurpé et qu'il n'est pas à luy mays qu'il est mys par Gabriel et sera audict corps, comme dict est, jusques à tant que Gabriel le metra dehors. Je soubz-signé presbre curé de Chatenoy en Gastinois, diocèse de Sens, certiffye les interrogation et responce cy dessus tenir verité. Et pour certiffier ceulx qui verront ceste lettre, ay signé de ma signature le quatorziesme jour de septembre mil six cens et ung, ainsy signe : TEXIER.

Le démon est une dernière fois pressé de dire son nom :

« Dic ergo interpretationem tui nominis Astaroth » Et a dict ledict demon : « Cela porte conséquence. Je ne le diras pas ». « Tu le diras » « Nenny » « Nous te le commandons tous d'une voix que tu aye à dire la signification de ton nom Astaroth » Et n'a voulu respondre.
Sur ces derniers mots se termine le manuscrit.

Le dialogue se réduit à trois questions principales :
Quel est ton nom ? D'ou viens-tu ? Quel signe feras-tu ?
Le démon dit se nommer Astaroth. Dans l'Ancien Testament, c'est le nom d'une déesse orientale, Astarthe, déesse mère, déesse de l'amour et de la fécondité dont le culte se répandit dans tout le bassin de la Mediterranée en se mêlant à celui de Vénus.

1) Extrait de Verdier, Marc, « A propos d’un exorcisme en l’église Saint-Mathurin de Larchant en 1601 », Amis des Monuments et sites de Seine-et-Marne, n°14, 1983, p. 1-16
2) Paris, Arch. nat. S 305 B

NDLR Un dialogue daté de 1601 qui ressemble étrangement à celui du XIIe siècle lors de l’exorcisme par saint Jacques de la possédée d’Oviedo. Ici c’est un homme. On comprend mal comment le démon peut parler par le bras ou par l’épaule, mais les assistants n’en ont pas l’air surpris. En revanche, ils sont étonnés de voir Mathurin Dupetit comprendre le latin, l’anglais, l’espagnol et même le breton.

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