Connaître saint Jacques - Comprendre Compostelle
page établie en février 2003
Accueil mise à jour le 6 mars, 2006 Saint Jacques et le patrimoine survol du site Page précédente
 

La représentation de saint Jacques sur des faïences patronymiques

Mary Sainsous, membre de la Fondation présente ainsi les objets de piété domestique portant une image de saint Jacques. " Ils sont le support d’une religiosité du quotidien et témoignent de pratiques individuelles ou familiales. La présence symbolique du saint par sa représentation a une vertu protectrice. Le support peut aussi bien être un souvenir de pèlerinage jacquaire (médaille, enseigne, chapelet), une image pieuse (peinture, gravure), une statuette (faïence ou jais) ou des objets à usage décoratif (assiettes, bouteilles, plats). Le XVIIIe siècle connaît la grande vogue des assiettes et faïences patronymiques, qui associent directement le nom du propriétaire à l’image de son saint patron. L’iconographie est inspirée de l’imagerie populaire et le saint est aisément identifiable (costume de pèlerin, coquille, bourdon, chapeau, calebasse)".

L'article qui suit, sur les faïences, est du à André Supiot.

La représentation de saint Jacques sur les faïences patronymiques


On a longtemps classé les faïences patronymiques (enn grande majorité desassiettes et des saladiers) dans la catégorie des « faïences parlantes » c’est-à-dire des céramiques sur lesquelles le peintre a porté une inscription. Leur origine est liée à la statuaire religieuse du XVIIe siècle et leur développement, à partir des années 1730 jusque vers 1830 doit beaucoup et à l’expansion économique du XVIIIe siècle. Elles se caractérisent le plus souvent par la représentation sur l’émail du saint patron du propriétaire avec l’indication de son prénom, de son nom, de la date de fabrication (souvent postérieure d’une année à l’événement) et parfois de sa profession. Elles étaient commandées pour célébrer un événement familial (le plus souvent un mariage) ou corporatif (une accession à la maîtrise par exemple) et pour obtenir une sainte protection. Elles provenaient essentiellement du centre de production de Nevers. Dans le décor habituel, sur un vaisselier, elles apportaient une touche colorée et rappelaient à tout moment un événement heureux. Dès le début du XIXe siècle, elles ont quitté les maisons familiales lors de la disparition des héritiers directs. Elles ont commencé à être collectionnées dans les dernières décennies du XIXe siècle par les défenseurs de la faïence « populaire », comme les Républicains Champfleury et Fieffé, auteur de la première étude sur le sujet parue en 1901.
La recherche de l’origine des faïences patronymiques (quand on peut la connaître) doit permettre au collectionneur, qu’il soit privé ou public de relier l’objet à son origine historique, ce qui est rare en matière d’objets d’art. Cette étude s’avère parfois assez difficile à cause de l’orthographe des noms et de l’absence de mention des lieux d’habitation. Elle relève à la fois de la ténacité et de la chance. Elle se fait le plus souvent dans le cadre des services des Archives départementales et des Centres généalogiques. Pour une soixantaine de pièces de Nevers j’ai pu retrouver l’histoire particulière de récipiendaires qui habitaient au bord de la Loire et de ses affluents. Il s’agit très souvent de mariniers.
Dans cette collection, deux assiettes concernent saint Jacques. L’apôtre Jacques, dit le Majeur, est le plus habituellement représenté par les faïenciers. Il était le frère de saint Jean l’Evangéliste et fut l’un des premiers compagnons du Christ. Sur les faïences, il apparaît en apôtre et en pèlerin tenant dans une main un bâton - le bourdon - auquel est suspendu une gourde et, éventuellement de l’autre main, un livre (les Evangiles ou son Epître ?). Des coquilles Saint-Jacques peuvent être représentées sur son manteau et sur son chapeau. Jacques le Mineur n’apparaît que dans des séries des douze apôtres, tenant en main le marteau du foulon, instrument de son martyr.

Une assiette polychrome marquée « Je quitte Chalotte - Jean Faveroux 1785 »

Sur cette assiette sont peints saint Jacques en pèlerin (au-dessus de « je quitte Chalotte ») et saint Jean-Baptiste (au-dessus de « Jean Faveroux »). Habituellement, ce type d’assiette présente les saints patrons des personnes dont les noms sont cités. Mais ici l’inscription est énigmatique. Est-elle une phrase annonçant le départ de Jean Faveroux pour Compostelle ? Auquel cas, qui est Chalotte ?
Les recherches ont permis de résoudre une partie de cette énigme. L’assiette a été offerte à l’occasion du mariage de Jean Favereau avec Jacquine Chaslot le 23 novembre 1784 à Saint-Clément-des-Levées (Maine-et-Loire), commune située sur la rive nord de la Loire, entre Saumur et Angers. Elle a été faite l’année suivante, en 1785, dans une manufacture nivernaise non identifiée. Les mariés appartenaient à des familles de mariniers bien connus. L’époux était originaire de Chênehutte-les-Tuffeaux, port situé sur la rive sud du fleuve et haut lieu de la marine de Loire. Il dut obtenir pour se marier un certificat du curé de sa paroisse nommé Jacques Huet[1]. Avant son mariage, Jean Favereau fut mobilisé par le Roi de France, en qualité de marinier, le 25 juin 1781. Il navigua jusqu’au 22 février 1783 à bord du vaisseau royal « Le Protecteur ». Il ne fut plus mobilisé par la suite, étant devenu patron de bateaux.

Les jeunes époux résidaient à Saint-Clément-des-Levées. Leur premier enfant fut Marie Favereau née le 21 février 1786 et baptisée le lendemain en l’absence de son père.
Reste la curieuse inscription du peintre de Nevers Je quitte au lieu de "Jacquine". Correspond-elle à une allusion au départ de Jean Favereau pour le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle après son mariage ? Les recherches entreprises pour retrouver la trace de cet éventuel pèlerinage ont pour le moment échoué. Il est plus probable que le peintre ait mal compris les noms qu’on a dû lui dire oralement (le nom de Jacquine n'étant pas familier).

Une assiette en camaïeu bleu marquée « Jacques Cretai – Marie Trotos femme de Jacques Cretai 1765 »

Cette assiette a été probablement offerte pour l’anniversaire du mariage de Jacques Cartrais et de Marie Trotereau qui fut célébré le 22 novembre 1758 dans la paroisse de la Sainte-Trinité d’Angers[2]. Elle formait une paire avec une assiette identique marquée « Julien Pinaut – Julienne Trotos femme de Julien Pinaut 1765 » pour un mariage célébré le 21 novembre 1742[3]. Les deux épouses étaient sœurs. Le premier couple résidait à Montrelais (Loire-Atlantique) et le second couple à Ingrandes-sur-Loire (Maine-et-Loire)[4]. Ces communes limitrophes étaient situées à la frontière entre la Bretagne et l’Anjou, lieu stratégique de la contrebande du sel.

Les deux époux étaient « voituriers par eau » mais Jacques Cartrais était spécialisé dans le transport du sel. Ce sel assujetti à un impôt (la gabelle) était pris en charge à Nantes pour être remonté vers l’amont par bateau vers les greniers à sel de la Ferme des gabelles pour être vendu. Le contrôle réalisé à la hauteur d’Ingrandes-sur-Loire était très strict. Dans son excellent ouvrage Bateliers – Contrebandiers du sel (Editions Ouest-France 1999), Françoise de Person, grande spécialiste de la marine de Loire, cite à plusieurs reprises Jacques Cretai (sic) « voiturier des sels » de Montrelais à l’occasion de ses démêlés avec la Ferme et ses gabelous. Par exemple, au début de 1770 à Cosne-sur-Loire (Nièvre), il fut accusé d’avoir coulé volontairement ses bateaux après avoir vendu illégalement le sel transporté. Il fut disculpé.
L’inventaire après le décès de Jacques Cartrais fut réalisé à son domicile situé rue du Fresne à Montrelais, le 11 octobre 1771. L’étude du document démontre qu’il n’avait pas fait fortune. La paire d’assiettes de 1765 a été incluse par le notaire royal à la page 2 dans la ligne « fayances, potterie, bouteille, pots, prisé le tout ensemble trois livres » sans malheureusement plus de détail…

Une bouteille à la Loire ...

Un magnifique saladier polychrome, daté 1790, fut vendu à Drouot le 4 avril 1984, appartenant à une collection privée[5]. Il est marqué « Jacque Robinos » (surmonté de saint Jacques en pèlerin) et « Anne Robinos » (surmontée de sainte Anne et Marie enfant).

Il représente une flottille de bateaux près du pont de Nevers avec, dans le fond, une vue cavalière de la ville. Dans le ciel, une volée d’oiseaux et un soleil bienfaisant. Les bateliers s’apprêtent à partir, un dernier canot chargé d’hommes vient de quitter le quai. En 1790, le pont actuel était en construction depuis 20 ans ; le plat montre la partie déjà terminée. La chapelle doit être Notre-Dame du pont de Loire, vis-à-vis de laquelle a été plantée, en 1727, la « croix des pèlerins » offerte en 1682 par la confrérie Saint-Jacques (celle qui est aujourd’hui à l’intersection des rues Colbert et P. Vaillant-Couturier).

Un défi à relever : qui retrouvera son histoire ? Est-elle liée au fait que saint Jacques était le patron des marchands fréquentant la rivière de Loire et les affluents descendant en icelle, dont le siège était à Orléans depuis le XVe siècle ?


André Supiot
avec la collaboration de Jean Rosen, CNRS, UMR 5594


[1] Il existe par ailleurs deux assiettes faites pour ce Jacques Huet portant l’inscription « mr uete qure du tufeau / 1790, mais leur décor est celui d’un prêtre dans l’exercice de ses fonctions, et non pas celui de son saint patron (1/ Musée J. Déchelette, Roanne, inv. 988 10 365, publiée in Nevers 1987, n° 299 ; Bonnet, coll. Heitschel n° 250 ; Moinet 1989, p. 144 n°266 ; Villiers-St-Benoît 1992, 72 p. 26. 2/ anc coll. H. Ferrier à Prémery, vente Papillon 1919 ; publiée in Nevers 1937 (exposition rétrospective de la céramique nivernaise), puis vente Me. Le Roux, Hôtel Drouot, 07 612 1988, n°152, et Gagny 1989, coll. Sestié, p. 58 n°145. D’autre part on connaît une assiette au nom de louis Faveroux margueritte sausée / 1780, sans doute parents de Jean Favereau (vente Me Sabourin, Châtellerault, 11-11 02 n°345, coll. Chavaillon
[2] Il existe au moins deux assiettes Jacques Cretai et Marie Trotos, femme de jacques Cretai / 1765 : 1/ cat vente Drouot, Biennale des Antiquaires Paris (C. Perlès 1998) ; 2/ vente Mes Baron Ribeyre, Hôtel Drouot, 06-06-01, n°56. On connaît en outre un saladier « à l’arbre d’amour » avec la même inscription, en camaïeu bleu, conservé au Musée national de la céramique, Sèvres, MNC 27838
[3] Paire d’assiettes identiques en camaïeu bleu : 1 / Julien Pinault, Julienne Trotos. / Femme de julien pinaut / 1765 Musée J. Déchelette Roanne, inv. 988 10 580 2 / C. Perlès, Biennale des Antiquaires, Paris, 1998
[4] Comme le prouve par ailleurs une assiettes à oeufs à décor polychrome marquée julien pineau Et Son Epouse julienne troteau . dingrande Rüe du fraine . 1769 (anc. Coll. Lemerle, vente Lavoissière, La Rochelle, 2004
[5] Saladier polychrome, vente Me Tajan, Hôtel Drouot, 04 04 1984, n° 64.

Bibliographie :
Catalogue, Les faïences patronymiques Collection Jeanne Lemerle – Donation Michel Dillange, sous la direction de Jean Rosen, CNRS, UMR 5594, Dijon, avec la collaboration de Dominique Donadieu-Rigault, Sylvie Biton et André Supiot, 158 p. quadri., Le Mans, éd. de la Reinette, 30 €. En vente aux musées accueillant l’exposition.
Contact : jean.rosen@u-bourgogne.fr


Aujourd’hui le Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne présente au public une collection remarquable et très complète de 165 faïences patronymiques. Idéalement représentatives de l’ensemble de ces productions, elles font ici l’objet d’une étude approfondie associant l’iconographie, l’histoire et la sociologie aux découvertes céramologiques les plus récentes issues des fouilles archéologiques.
Dates et lieux d’exposition :
Musées de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne, 15 janvier-2 avril 2006
Musée Grasset, Varzy (Nièvre), 19 mai-25 septembre 2006
Musée départemental de la faïence, Samadet, (Landes), 14 octobre-30 novembre 2006

La propriété intellectuelle du contenu de ce site est protégée par un dépôt à la Société des Gens de Lettres

Page précédente haut de page Accueil

nous écrire