Ce qui est passionnant, concernant l'apôtre Jacques, c'est de se plonger dans la lecture
suivie d'un Evangile, saint Matthieu par exemple, et des autres Evangiles (car chacun à sa manière est
tous 'jacquaire') ! Nous avons alors la joie de découvrir la richesse de la personnalité de cet
apôtre ami intime de Jésus. Nous découvrons son itinéraire humain et spirituel. Discrètement, les
Evangiles nous le proposent comme guide spirituel. Avec lui, nous pouvons prendre le chemin de la
vie et d'une foi authentique, plusieurs fois purifiée, à la suite du Christ qui est Le Chemin.
Avec saint Jacques comme Guide, nous pourrons aller 'jusque là-bas', à Santiago, et
même 'jusqu'au bout', sur les rives de l'Océan, là où plonge la Voie Lactée. Nous pourrons
également fêter saint Jacques aux' sanctuaires de proximité' (et oratoires,..) qui lui sont dédiés. Nous
pourrons, encore, être pèlerins du quotidien, du coeur et de tout notre être, sur les pas de saint
Jacques. Nous pourrons cheminer dans la foi, par lui, avec le Christ.
Le tempérament de saint Jacques ? Un apôtre bouillonnant, fougueux! A tel point
que Jésus lui-même l'a surnommé 'Boanerguès!' (Marc 3,17), c'est-à-dire, selon le terme grec, 'fils
du tonnerre', 'homme plein d'énergie (erguès) criante (boan)'. Un tempérament puissant, impétueux,
un profond appétit d'aller toujours au-delà. Saint Jacques est un maître spirituel du dépassement de
soi et de foi. Pour reprendre le Chemin chaque jour, les jacquets font retentir leur cri matinal
spécifique: 'Ultréïa !': 'Plus outre! Plus loin! En avant!' Ce terme dynamique s'applique
admirablement à la conviction entière et vigoureuse de l'apôtre saint Jacques.
Quand Jésus passe sur les bords du Lac de Tibériade et qu'il remarque Jacques et Jean,
les deux frères affairés à la pêche avec leur père Zébédée, il lui dit: 'Suis-moi!'( Mt 4, 21-22; Mc
1,19-20; Lc 5,10). Alors, Ultreïa!, Jacques, avec Jean, quitte tout, père, barque et pêche, et le voilà
parti à la suite de Jésus de Nazareth.
A Capharnaüm, Jacques est un rare témoin du miracle où Jésus guérit la belle-mère de
l'apôtre Pierre (Mc 1,29). Elle est alitée, saisie par la fièvre. Jésus la prenant par la main la fait se
lever. Et là, guérie, à nouveau debout, 'elle les servait' (Mc 1,31; Lc 4,39), 'elle Le servait' (Mt 8,15).
La santé ? Ultreïa! La santé va au-delà d'elle-même. Elle devient service des autres (Mc 1,31 ), et même Service du Seigneur (Mt 8,15)! Jacques est seulement avec Pierre et Jean comme témoin de la
résurrection de la fille de Jaïre (Mt 9,18-26). Le 'sacrement de monsieur saint Jacques' sera
sacrement de santé du corps et du coeur, sacrement pour le service des autres et Service du
Seigneur, sacrement de résurrection de l'espérance et de la disponibilité de l'être.
Sur la montagne, avec Pierre et son frère Jean, Jacques est témoin du Christ
Transfiguré (Mc 9,2). Jésus était le semeur de la Parole du Père (Mt 13), le priant (Lc 3,21-22),
l'auteur de miracles pour la santé (Mc 1,34) et pour calmer la faim (Jn 6; Mc 6),.. Avec Jésus, pour
ses trois apôtres les plus intimes, Ultreïa!, il faudra aller plus loin encore et plus haut, il faudra
découvrir sa Gloire de la Transfiguration (Mc 9,2-10). Il faudra découvrir qu'au-delà du
dépouillement de la Croix (Mt 27,27 -60), il y aura le rayonnement du Ressuscité et de la résurrection
(Mt 28,16-20).
Et pourtant, dans ce cheminement, de découverte en découverte, à la suite du Christ
qui est Le Chemin, Jacques le fougueux va commettre de lourdes fautes. Comme nous
connaissons des défaillances dans notre service des valeurs, il va se laisser 'déraper' par deux fois.
L'Ultreïa non pas vers un dépassement de foi, évangélique, mais dans la régression regrettable sur
soi... Quand, en mission, il annonce la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux tout proche, Jacques,
avec ses frères apôtres, rencontre des refus de la part de ses interlocuteurs inhospitaliers. Il adopte
une attitude bien peu évangélique. Avec son frère Jean, il s'en vient demander à Jésus: ' Seigneur,
veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire?..' (Lc 9,51-55). Quel
vertige de l'impatience! Tentation de la violence ! Jésus 'se retourna et réprimanda les deux frères'.
Jésus rectifie sur le champ. Il invite à rompre avec la violence, à entrer dans une attitude plus
imprégnée de foi et de charité. Voilà saint Jacques appelé sur le chemin de la repentance, d'une rude
conversion. . . Il apprendra à être intercesseur pour que ses frères reçoive le Pardon, la Miséricorde du
Seigneur.
Un deuxième grave dérapage: quand Jacques et son frère viennent demander à
Jésus: ' Accorde-nous de siéger l'un à ta droite, l'autre à ta gauche, dans ta Gloire!' (Mc 10,35-45).
L'Ultreïa prend alors l'orientation d'une nouvelle tentation, celle de l'ambition bien peu
évangélique, celle de la domination. Jésus interroge la conscience de Jacques et de son frère:
'Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, recevoir le baptême dans lequel je vais être
plongé ?'. Avec une étonnante assurance, ils répondent: ' Nous le pouvons!' Jésus les appelle à la
conversion de leur attitude vers l'humble service. Car, 'le Fils de l'homme n'est pas venu pour être
servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude '(Mc 10,45). De fait, Jacques
ira jusqu'au bout - le bon Ultréïa! -; il sera capable de témoigner du Christ jusqu'au don de sa vie pour
le Christ dans le martyre. Il sera le premier des apôtres à être martyrisé. 'Le roi Hérode se mit à
maltraiter certains membres de l'Eglise. Il supprima Jacques, frère de Jean, en le faisant décapiter'
(Actes 12, 1-5).
A travers ces épisodes de 'dérapage', mais aussi de générosité active, Jacques,
sur le Chemin du Christ, vit une profonde transformation de lui-même. Il participe à la mission
que Jésus confie aux apôtres. Il se fait, notamment, humble serviteur des malades. Avec les autres
apôtres (Mc 6,13), il pratique l'onction d'huile sur les malades. Là, de jour en jour, il met en
oeuvre le 'sacrement de monsieur saint Jacques'. L'onction d'huile manifeste aux malades que Dieu,
par son Esprit Saint, se fait proche d'eux, offrant la force de sa Présence et de son Amour. Avec les
autres, Jacques devient figure du soutien de Dieu, de réconfort, d'espérance dans l'épreuve (note 1).
Vient le moment décisif de la montée à Jérusalem et de la Passion de Jésus. Avec les autres apôtres, Jacques est là, à la Cène, quand Jésus fait le geste insolite avec le pain et le vin, quand Jésus prononce les paroles inouïes: 'Ceci est mon Corps livré, mon Sang versé, pour vous et la multitude, en signe de l'Alliance nouvelle et éternelle, en rémission des péchés' (Mt 26,26-30). Le sculpteur Jo Cleymans (Bruges) a su représenter Jacques de manière très expressive: Jacques est debout, tout yeux vers Jésus livrant sa vie, Corps et Sang, et scellant l'Alliance. Jacques est debout, les mains appuyées sur les épaules des apôtres Nathanaël et André assis devant lui, debout avec une pèlerine … impatient de partir - Ultréïa! - au plus loin pour refaire le geste de Jésus en Mémoire vivante de Lui, pour faire rayonner l'Eucharistie. Après la Cène, la nuit tombée, Jésus emmène ses apôtres au Jardin de
Gethsémani (Mc 14,32-34). Il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean durant son agonie. Pour Jésus,
c'est le moment du grand Ultréïa ! le Passage par la Passion. Jacques s'effondre de sommeil. Mais
sans doute a-t-il assez vu Jésus priant le Père, soutenu par l'Esprit, pour qu'il soit assez fort, à son
tour, au moment de son propre martyre, quand il 'boira la coupe', quand Hérode Agrippa le fera
mettre à mort? (Actes 12, 1-5). Au matin de Pâques, Marie-Madeleine redescend du tombeau au Golgotha pour annoncer aux apôtres que le Christ Ressuscité s'est manifesté à elle (Jn 20,11-18). . . .Le soir, Jacques et les autres apôtres sont là ensemble. Jésus se manifeste à eux, leur confie la Paix et le Pardon de Dieu à donner (Jn 20,19-29). Après l'Ascension de Jésus, ils attendent le Don de l'Esprit Saint (Actes 1,12-14). Désormais, ils seront témoins du Christ Ressuscité jusqu'au bout! Ultréïa! (Mt 28,19).
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La lecture des Evangiles nous donne ainsi la joie de découvrir un apôtre
Jacques authentique disciple du Christ. De seuil en seuil, d'étape en étape, Ultréïa! sa vie a été
profondément transformée, travaillée par l'Esprit Saint. Il a vécu l'Evangile dans le dépassement
progressif de soi. Saint Jacques est bien là, toujours en mouvement, en cheminement. Il est 'un
et multiple' ( note 2) en lui-même : accueillant sa vocation de manière magnifique; puis dérapant de façon
décevante vers des attitudes aux antipodes de l'Evangile; enfin, se ressaisissant vers le don ultime de
soi au Seigneur. Jacques nous entraîne avec lui, à la suite du Christ. Dans la Jérusalem céleste que
nous dévoile le livre de l'Apocalypse, le nom de saint Jacques et celui des autres apôtres
figurent sur 'les douze pierres de fondation de la muraille de la Jérusalem céleste' (Ap 21,14). Là
est le passage de notre chemin terrestre à la Rencontre du Dieu Vivant. En permanence, Jacques et
ses compagnons apôtres assument aujourd'hui, chaque jour, leur mission de vigilance. Ils soutiennent
notre marche au rythme de nos joies et de nos épreuves. Ils stimulent notre désir. Ils nous relancent
sur la route de la vie et de la foi (3). Sur les routes de Compostelle, ou en célébration dans un
sanctuaire jacquaire proche, ou dans le pèlerinage de la vie quotidienne. Saint Jacques nous est ainsi
un guide de foi tumultueuse, de vie donnée, de réponse généreuse jusqu'au bout.
Père Pierre Fournier professeur de théologie sacramentaire au séminaire d'Aix en la fête de saint Jacques Rambaud (05)
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Notes :
1 - La popularité de saint Jacques auprès des malades se rattache à la fois à l'Evangile ('les apôtres
faisaient des onctions d'huile aux malades' (Mc 6,13) et à l'Epître de saint Jacques (5, 13-16).
2 - L'expression est de Denise Péricard-Méa dans 'Compostelle et cultes de saint Jacques au Moyen
Age' , P.U.F., 2000, p.47. Elle désigne le fait que Jacques de Compostelle est à la fois Jacques le
majeur, Jacques le mineur, Jacques le frère du Seigneur, Jacques l'auteur de l'Epître.
3 - cf à la fête des apôtres, la préface de la messe: 'Vraiment, il est juste de Te rendre gloire, Père
très Saint, ... Tu n'abandonnes pas ton troupeau, Pasteur éternel, mais Tu le gardes sous Ta
constante protection. Tu le diriges encore par ces mêmes pasteurs qui le conduisent aujourdui au
nom de Ton Fils... C'est pourquoi, sansfin, nous T'acclamons !.... ' D'une certaine façon, comme les
apôtres Pierre et Paul sont les témoins d'Evangile à Rome, Pierre étant évêque de Rome et, par là,
'patriarche' d'Occident, Jacques pourrait être considéré comme 'co-patriarche' d'Occident, pilier
spirituel: à l'extrême de l'Europe, puis dans le continent américain (les villes Santiago: Chili,
Argentine, République dominicaine, Haïti,...). Dans le roman américain, nous notons un certain
aspect jacquaire chez Hemingway dans 'Le Vieil Homme et la mer' (Gallimard, poche, 1969). Ce
'vieil homme', pêcheur de l'île de Cuba, reste pratiquement anonyme, mais c'est justement sous le
nom de Santiago que son jeune ami s'adresse à lui (p 6, 9,174) . Il se dit 'né pêcheur...' , comme son
saint patron, et (p 148). Il est poussé par une étonnante aspiration au
dépassement de soi (cf Ultréïa) : au début de son aventure, 'le vieux savait qu'il irait très loin.. '(p
32). S'il attrape l'impressionnant espadon, il lait le voeu d'aller en pèlerinage' en l'occurrence un
pèlerinage local proche de Santiago de Cuba, à la Vierge de Cobre (p 86 et p 15)
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