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Accueil mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

Savoir interpréter le patrimoine jacquaire

Contribuer à une meilleure interprétation du patrimoine est un des objectifs de la Fondation. La coquille est le symbole pèlerin le plus connu. Il fait donc partie de ceux qui peuvent le plus facilement conduire à des généralisations hâtives ou à des erreurs commises non seulement par "Monsieur Tout-le-Monde" mais également par des personnes ayant une certaine autorité. En voici un exemple. Les questions ont été posées par un guide-conférencier bénévole d'un Office de Tourisme et elles ont donné lieu à un échange qui nous paraît instructif. Ces questions étaient présentées ainsi : avec mes collègues, nous avons à répondre à des visiteurs de plus en plus " lettrés ". Ce qui nous oblige à être nous-mêmes de mieux en mieux informés pour affiner nos explications.
Voici cet échange de questions-réponses :

Question 1 - La grande porte de notre église est cloutée de grosses pointes à tête de coquille Saint-Jacques. Sans beaucoup de conviction nous indiquons que c'est un signe que cette église est sur une des nombreuses routes qui mènent les pèlerins vers Saint-Jacques-de-Compostelle, comme me l'a précisé l'architecte des Bâtiments de France.
Elles datent vraisemblablement du début du XVIe, après l'incendie de 1512.

Réponse 1 - Votre “manque de conviction” vous honore, et l'architecte des Bâtiments de France ne fait que répéter l’une des erreurs les plus graves de plus en plus souvent commises : faire de chaque coquille une balise sur le chemin de Compostelle donc voir des pèlerins partout. Cela a conduit à croire dur comme fer qu’il en passait des foules et des foules (d’où les millions de pèlerins dont on nous rebat les oreilles).

 

Question 2 - Dans votre brochure sur saint Jacques de La Chapelle-d'Angillon vous écrivez :
"qui étaient ces pèlerins venus en masse ? Ils venaient de la région certes, mais aussi de plus loin, à l'occasion d'un voyage ou, peut-être d'un voyage à Compostelle : en effet les Itinéraires de Bruges, ces guides à l'usage des marchands et des pèlerins venus du Nord mentionnent la grande route qui mène d'Aubigny à Bourges."
Il est vrai que cette année, nous avons eu la visite de tout un groupe de Belges, faisant route vers Compostelle.

Réponse 2 - Dans mon opuscule sur la Chapelle d’Angillon, publié en 1999, j’ai voulu être prudente en disant que “peut-être des pèlerins de Compostelle passaient par là”. Je le serais encore plus aujourd’hui. En revanche, dans ma conclusion je rappelle qu’au XVIIIe siècle des processions venaient d’Aubigny à la Chapelle, processions où l’on sait que certains étaient costumés en pèlerins… Et là, vos coquilles sur la porte sont peut-être, peut-être, peut-être un indice !
De nos jours beaucoup de pèlerins ne marchent que quelques jours sur les chemins de Compostelle. Pourquoi ne pas leur suggérer de retrouver ces anciens pèlerinages ? Il y a plusieurs chemins pour aller à Saint-Jacques-de-la-Chapelle-d’Angillon : parcourir le mythique chemin de l’ermite, de Bourges à La Chapelle en passant par L’Hermitage à Berry-Bouy puis à Achères, ou reprendre les anciens tracés des processions depuis La Chapelle jusqu’à Ivoy-le-Pré, Méry-es-Bois, où est une fontaine Saint-Jacques, Prély, Nançay, ou de La Chapelle jusqu’à Aubigny.

Ne serait-il pas plus enrichissant, et plus authentique, de consacrer des jours à marcher dans sa propre région ? Loin de concurrencer le sanctuaire galicien, les sanctuaires locaux sont propres à susciter davantage de grands départs et à constituer des étapes enfin chargées d’un profond et véritable sens historique auquel vient se greffer un imaginaire aussi somptueux que divers.

 

Question 3 - Un autre indice est une verrière au chevet de l'église, datée de 1600, dédiée à la vie de saint Martin, offert (attesté par leurs armoiries en bas) par Esmé II Stuart et sa mère Catherine Balzac d'Antraigues. En haut trois femaillés d'or sur gueule : les armes d'Aubigny, dessous des coquilles Saint-Jacques. Nous avons coutume de dire que c'est en mémoire du pèlerinage à Jérusalem que fit, vers 1425, entre deux combats contre l'Anglais, John Stuart de Darnley, premier seigneur d'Aubigny et Connétable de l'armée écossaise venue soutenir le Dauphin Charles. Sur votre site cette version n'est pas contredite, par Gérard Heurtier, dans " Coquille et Compostelle, et coquille et Héraldique " où l'on indique que " une croisade à Jérusalem peut être à l'origine des coquilles ". Ce pèlerinage à Jérusalem effectué par John Stuart de Darnley est mentionné par les sources suivantes :

- Alfred GANDILHON, Aubigny-sur-Nère, aperçu historique,1931 (Directeur des Archives Départementales du Cher) :
" Pendant ce temps, Jean Stuart continue à lutter pour le roi, mais, in heureux, il est battu, le 31 juillet 1423, à Crevant, où il perd un oeil et est fait prisonnier. Remis en liberté, il effectue un voyage enTerre Sainte. A son retour, il porte secours, en 1426, en Bretagne, au connétable de Richemont et l'aide à remporter de nombreux succès sur les Anglais. "
-
Buhot de KERSERS, Histoire et statistique monumentale du département du Cher, 1875, t.I, 127. Dr Louis BOUCHER, Aubigny-sur-Nère en Berry, Rouen ,1926, plaq.in-8°page 9
-Michel FRANCISQUE, Les Ecossais de France et les Français en Ecosse, Londres, 1962

Réponse 3 -C'est possible en effet. Mais toute une bibliographie montre que les Stuart avaient une dévotion pour saint Jacques, qui est leur saint patron dans la dynastie des rois d’Ecosse qui portent ce nom (de Jacques Ier, né en 1394 jusqu’à Jacques VII devenu roi d’Angleterre en 1685 sous le nom de Jacques II). Jacques IV figure habillé en pèlerin dans un livre d’Heures, le sceptre de son fils Jacques V porte un saint Jacques pèlerin en même temps que saint André (patron de l’Ecosse) et la Vierge. etc, etc. D'autre part, les Ecossais ont pu avoir des relations politiques avec Compostelle,pendant les guerres de succession de Castille et la guerre des Deux-Roses. Et vous savez mieux que moi que les Ecossais se sont alliés au roi de France pendant la guerre de Cent Ans et que les Espagnols n’étaient pas favorables aux Anglais, donc en bons termes avec les Ecossais.

En bref, il y a tout un discours à construire qui soit propre à Aubigny, un discours qui intéressera vos pèlerins de passage : rappelez-vous que, depuis leur départ, ils sont sans doute déjà las d’avoir entendu répéter qu’ils sont sur une route de Compostelle. Ils doivent bien s’en douter, puisqu’ils y vont … mais ne leur dites surtout pas qu'ils sont sur une route historique, même s'il y a des coquilles ou un vitrail de saint Jacques, car de route “historique” il n’y a pas.

Permettez-moi une dernière remarque : vous utilisez le mot “sources” et en fait vous citez des “études”. Ce sont des termes de métier qui sont fréquemment confondus et qui sont à l’origine de bien des erreurs.
Ces auteurs sont pour vous des sources de connaissances, mais il faut remonter au document d’origine dont ils se sont servis et qui est, lui, la vraie “source”. Dans votre cas, Gandilhon, avec le sérieux de sa formation, doit donner des références précises permettant de retrouver ce texte d’origine : cote d’archives si le document est resté manuscrit ou, si le manuscrit a été édité, nom de celui qui a fait la transcription, lieu et date de ce travail. Buhot de Kersers aussi, très vraisemblablement. On juge d’ailleurs du sérieux de l’auteur d’après les indications de ses sources. (Nous nous méfions beaucoup des médecins qui ont souvent tendance à se prendre pour des historiens de métier, Dieu sait pourquoi ! Les historiens ne se mettent pas à écrire des traités de médecine sous prétexte qu’ils ont lu Rika Zaraï…) !
Ces références aux sources d’origine sont très souvent mises en notes de bas de page ou de fin de chapitre.

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