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LA LETTRE DE SAINT JACQUES (5ème livraison)

A la fin de la livraison précédente, je vous invitais à vous lancer sur la piste de l’auteur et sur celle de ses destinataires. Bien avant vous, d’autres (des spécialistes qu’on nomme exégètes) ont entrepris l’enquête sur l’identité de l ‘émetteur et des récepteurs de cet écrit. Et cette enquête est loin d’être close ! Aboutira-t-elle jamais ? Faisons le point sur les acquis, les incertitudes, les questions ouvertes.


1- A QUI CETTE LETTRE EST-ELLE ADRESSEE ?

L’auteur répond : « aux douze tribus de la dispersion » (1,1). Cette adresse exige un décryptage. Dans la tradition juive, les douze tribus désignent l’ensemble du peuple élu, sur la terre d’Israël et dans le monde (la diaspora). Comme la lettre de Jacques est un texte du Second Testament, les douze tribus figurent la totalité du Peuple Nouveau que le Christ s’est acquis par son sang répandu. Mais il semble que, dans l’esprit de l’auteur, ce peuple ne se réduise pas aux judéo-chrétiens : il englobe les « gentils » ou païens convertis. D’où le qualificatif de « catholique » (universel) attribué à sa lettre. Nous en sommes donc, nous aussi, les destinataires !…


2- OU CETTE LETTRE A-T-ELLE ETE ECRITE ?

Peu d’indices permettent de répondre à cette question. On pense qu’elle fut rédigée sinon à Jérusalem même, du moins en Palestine ou en Trans-Jordanie (Pella ?) où les chrétiens de Jérusalem se seraient réfugiés après la destruction de la ville par les Romains de Titus, en 70. Certains évoquent encore la Syrie ou l’Egypte.


3- QUAND CETTE LETTRE FUT-ELLE ECRITE ?

Ici encore nous sommes réduits à des conjectures. Et pourtant la réponse importe si l’on cherche à identifier l’auteur. La lettre est fermement attestée au IIème siècle. Les opinions divergent quant à la date de rédaction.
Les uns (rares) la situent entre 35 et 49, se fondant sur le caractère primitif de sa christologie et de son ecclésiologie… Jacques Le Majeur est - serait - donc l’auteur possible.
Les autres (peu nombreux) la fixent avant la mort de Jacques, Frère du Seigneur, vers 62.
D’autres (majoritaires aujourd’hui) optent pour le dernier tiers du Ier siècle (dans les années 80-90). Leur opinion s’appuie sur un certain nombre d’indices internes, entre autres, la structure ecclésiale impliquée en 3,1 et 5,13-14.


4- PAR QUI CETTE LETTRE FUT-ELLE ECRITE ?

L’auteur se présente comme « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésis Christ ». Mais on sait que la pseudonymie était d’usage fréquent dans l’antiquité. Certains écrivains en font encore usage aujourd’hui !…

L’OPINION TRADITIONNELLE fait de Jacques, dit « Le Juste », frère du Seigneur, fils de Clopas et de Marie, frère de Joset et de Jude, bénéficiaire d’une apparition particulière du Ressuscité, l’auteur de cette lettre. D’après l’historien juif Flavius Josèphe, il mourut lapidé en 62. Il était le chef incontesté de l’Eglise de Jérusalem, bien moins sectaire que les judéo-chrétiens de Palestine. Cependant les gnostiques d’Egypte en ont fait leur porte-drapeau : il serait le véritable successeur du Christ qui lui aurait confié mission de transmettre un enseignement caché en opposition avec Pierre et Paul. Cette récupération pourrait expliquer la réticence à admettre la Lettre de Jacques dans le canon des Ecritures…

ET SA CRITIQUE : Jacques, frère du Seigneur, ne peut être l’auteur de la lettre parce que

1) elle ne contient aucune allusion ni au Temple ni aux prescriptions rituelles de la Loi de Moïse : curieux pour un tenant du judaïsme !…Mais on sait que Jacques était moins extrémiste que son entourage.
2) Elle ne contient aucune référence à la vie de Jésus : curieux de la part d’un parent proche ! Mais, nous l’avons constaté, elle ne méconnaît pas le Christ et baigne tout entière dans son enseignement moral.
3) Elle est d’une canonicité longtemps contestée : curieux pour un écrit signé d’une autorité reconnue dans l’Eglise primitive ! D’ailleurs le Jacques en question ne se prévaut pas du titre de « frère du Seigneur »…Mais le fond du message est moral avant d’être doctrinal. Or l’Eglise en phase d’expansion se préoccupait surtout des fondements de sa foi en Christ (cf Saint Paul). La lettre dite de Jacques avait donc moins d’importance.
4) Elle est d’un style et d’un ton qui l’apparentent à des écrits de l’extrême fin du Ier siècle – début du IIème : lettres de Clément, de Barnabé, Pasteur d’Hermas : curieux pour un écrit daté d’avant 62 !…Mais il se pourrait qu’il leur eût servi de modèle.
5) Sa langue est trop parfaite pour un Juif galiléen de la campagne. Elle est rédigée dans le grec le plus pur de tous les écrits du Nouveau Testament. Elle cite non la Bible hébraïque mais la Bible grecque des Septantes. Elle ne peut être la traduction d’un original hébreu ou araméen. Seul un helléniste distingué en est l’auteur…Mais l’auteur, comme Paul et bon nombre de nos illustres contemporains, a pu recourir aux services d’un secrétaire rédacteur.

Qui donc en serait l’auteur ? « Il faut reconnaître que la question reste ouverte. » « Spéculer sur l’identité exacte de l’écrivain devient alors superflu. » Cette conclusion d’un des plus éminents spécialistes du Nouveau Testament, Raymond E.Brown, est bien sûr frustrante. L’honnêteté intellectuelle l’impose.


QUELQUES POINTS SONT ASSURES CEPENDANT :

1) L’auteur n’est pas Jacques (fils) d’Alphée, dit « Le Mineur », l’un des douze Apôtres dont on ne sait rien de plus et qu’aucune tradition ne revendique.
2) L’auteur n’est pas Jacques dit « Le Majeur », fils de Zébédée, pêcheur sur le Lac de Galilée, frère de Jean, premier Apôtre martyr sous Agrippa I, entre 41 et 44.
3) L’auteur est d’origine juive : le contenu et la tonalité du texte le prouvent.
4) L’auteur est chrétien et s’affirme comme tel : nous avons constaté que la lettre est pétrie de l’esprit et de l’enseignement de Jésus, puisant aux sources de la tradition synoptique : Matthieu, Marc et Luc.
5) L’auteur s’exprime avec autorité : il s’affirme comme docteur et chef reconnu dans l’Eglise primitive.

Disons, POUR CONCLURE, que l’auteur est un helléniste érudit, disciple et admirateur de Jacques Le Juste. Le titre qu’il joint à son pseudonyme mérite toute notre confiance de croyants : « serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus Christ ».
Ajoutons que plusieurs apocryphes (écrits tardifs non reconnus comme révélés) portent la signature de Jacques :
- le Protévangile de Jacques
- l’Apocryphon de Jacques
- deux apocalypses
Ce qui témoigne de l’autorité du personnage.

Henri Rivoalen


A lire : « Jacques, frère de Jésus », de Pierre-Antoine Bernheim aux éditions Noésis, 1996.

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