II y a cinq cent cinquante ans, un anglais fortuné décédait
dans sa ville de Worcester. Il y a dix-sept ans, dans cette ville de
Worcester, une sépulture médiévale fut découverte accidentellement. C'est
mon intention dans ce
mémoire de décrire cette sépulture et d'expliquer pourquoi je pense que les deux
hommes
sont
une seule et même
personne. - un homme qui est allé en pèlerinage à Compostelle. ...
Le pèlerin de Worcester, comme il a été nommé, a été découvert pendant des travaux
dans la nef de la
cathédrale de Worcester. La tête et le cou manquait, donc on ne connaît rien
de l'existence d'un chapeau ou de
médailles qui auraient pu être là. Mais le reste du squelette était en bon état,
et les objets enterrés avec lui étaient
exceptionnellement bien préservés. Il avait à peu près soixante ans, grand, robuste,
bien qu'il souffrît d'arthrite à la fin
de sa vie. Habillé de laine avec des vêtements en laine naturelle arrivant aux
genoux et des bottes de cuir. Dans sa
main droite, il y avait un bâton en frêne de trois centimètres de diamètre, avec
une double pointe en fer. A côté, il y avait une coquille Saint-Jacques, percée
pour être cousue ou être
attachée dans le tissu. Dans la tombe, il y avait aussi
des bouts de lacets en bronze près de la coquille et des fragments de laurier
et de saule, ce dernier ayant été
apparemment cueilli pendant l'hiver ou au début du printemps.
La localisation
de la tombe indique qu'elle devrait être
postérieure à 1374 et le genre de vêtement suggère les années postérieures
à 1400.
La Réforme
ayant interdit les pèlerinages, la
tombe ne peut être postérieure à 1540.
Un caractère curieux de cette tombe était
que le bâton avait été peint en violet,
probablement en préparation des funérailles, avec un pigment fait d'un mélange
de noir de fumée, et d'un rouge
coûteux appelé "Kermès". Il n'y a aucun précédent connu pour l'utilisation
de ce pigment de cette façon et pour cet
usage. Il est fait du corps des insectes femelles de la gale du chêne et importé pendant
le Moyen Age de Séville et de
Bosnie, coûtant vingt ou trente fois plus que les teintures rouges ordinaires. "Kermès" était
utilisé presque
exclusivement pour teindre les soies de haute qualité et très occasionnellement
par des peintres qui extrayaient la couleur de petites chutes de la soie teinte.
Les seules familles de Worcester qui auraient eu la possibilité d'avoir du
Kermès étaient les teinturiers ou aussi, probablement, un peintre de haut rang.
Est-il possible d'identifier le pèlerin de Worcester, de lui redonner la dignité d'un
nom ?
Au XVe et au début du
XVIe siècle, la population de la ville tournait aux environs de deux mille habitants.
La tâche paraît impossible, mais plusieurs choses donnent de l'espoir : nous
savons
que c'était un homme et quelqu'un d'assez riche pour s'offrir une
sépulture dans la cathédrale. Cela veut dire qu'il était probablement de l'élite
gouvernante, un groupe d'environ
cinquante hommes, dont l'appartenance était hautement contrôlée mais non fixée
en nombre. Il était aussi plutôt âgé
quand il est mort ; soixante ans n'était pas un âge très avancé, mais beaucoup
d'hommes mouraient plus jeunes. Il
aurait pu être teinturier.
Worcester était une ville importante dans le commerce
de la laine à cette période. Mais c'était
un métier spécialisé. Il y a aussi des cordiers, des tisserands, des foulons,
des fabricants de braies, des tailleurs, des drapiers, des merciers, ainsi que
deux ou trois teinturiers qui travaillaient dans la ville à cette époque. Finalement,
l'homme que nous recherchons devait avoir des liens étroits avec le pèlerinage
s'il a été inhumé de cette façon.
Un homme et un seul émerge des archives de Worcester comme le principal candidat.
Son nom est Robert
Sutton, et il a fait son testament en octobre 1454, en demandant à être enterré
au pied de saint Jacques et en donnant de l'argent à la
confrérie Saint Jacques de la cité de
Worcester. Il était teinturier. Il fut bailli de la cité en 1433 et il était
assez important pour être nommé dans un acte
notarial qui datait de 1543, presqu'un siècle après sa mort, concernant une propriété citadine
définie comme
«s'étendant de la rue devant le jardin ayant appartenu à Robert Sutton, teinturier».
Sutton vécut longtemps. Il
apparaît pour la première fois dans les archives de la ville en 1421. Il devait
avoir déjà au moins vingt-et-un ans. Ceci
veut dire qu'il avait au moins cinquante-quatre ans quand il est mort. De plus,
il fut enterré sans aucun doute dans la
cathédrale puisque sa femme plus tard exprima la volonté d'être inhumée à ses
côtés.
Comme autres raisons positives pour que Robert Sutton ait pu être enterré comme
le pèlerin de Worcester, il y a
d'abord deux mentions de saint Jacques dans son testament. Son testament est
le seul testament de Worcester qui mentionne de telles clauses. Il fit aussi
dans
son
testament une donation généreuse pour la construction de la voûte du nouveau
clocher de son église paroissiale. Le plafond du milieu XVe siècle existe
toujours et il contient une série de très belles
clés de voûte sculptées, douze d'entre elles représentant les apôtres.
Saint Jacques est représenté en pèlerin, comme on
s'y attend. Mais derrière sa tête, il y a quelque chose d'assez inhabituel. Au
lieu d'un halo ou une simple
ornementation comme les autres apôtres, Jacques est représenté avec ce qui ressemblerait à une
coquille Saint-Jacques, symbole de Compostelle. C'est extrêmement rare ; le seul
autre endroit
où j'ai vu l'iconographie de la coquille
utilisée de cette façon est sur les médailles de pèlerins (comme celle du XVe
siècle retrouvée dans la Tamise). Il y a
aussi dans la série, une clé de voûte représentant probablement Robert Sutton
et sa femme Johanne. Mais bien quelle
soit représentée en dame du XVe siècle, conventionnelle, lui est de nouveau inhabituel.
Sur son dos, il a un chapeau à
large bord, du type porté par les pèlerins et sur les épaules, il aurait une
cape courte comme celle portée par les
voyageurs. Quelle indication plus claire pourrait-il y avoir que l'homme qui
a commandité ces clefs de voûte voulait
qu'on se souvienne de lui comme pèlerin ?
Les informations livrées par le squelette indiquent que
l'homme, dans sa jeunesse, était habitué à faire
de longs trajets à pied, utilisant peut-être un bâton de marche, et que plus
tard dans sa vie, il était partiellement
invalide et finalement immobilisé chez lui. Plusieurs pèlerinages à grande distance,
incluant celui de Santiago, sont de
ce fait tout à fait possibles dans la décennie avant qu'il ne devienne bailli.
L'examen de la biographie de Robert Sutton fait apparaître
une période d'une dizaine d'années 1423-1433 pendant lesquelles il n'y
a pas de mentions de lui dans aucun acte de la ville de Sutton alors
qu'il y en a avant et après. Or les deux années 1423 et 1428 furent des
années saintes à Compostelle.
En conjecturant que l'homme inhumé comme le pèlerin de Worcester était
bien Robert Sutton,
je suggérerai à partir de ce qui est connu de sa vie qu'il
aurait sans aucun doute accompli son voyage à Compostelle en 1423. |