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mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil

Saint Jacques et le pèlerin dans le langage populaire


Que le pèlerin se rende à Compostelle ou visiter telle ou telle relique de l’apôtre à Arras ou à Grenoble, à Toulouse ou à Angers, son personnage a enrichi les vocabulaires français et anglais de mots dérivés de son nom, de façon toujours imagée, parfois inattendue ou … contestable ! Voici quelques expressions du langage populaire qui se sont dites au Moyen Age et d’autres, plus nombreuses, transmises par le XIXe siècle.
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Autour de la silhouette familière du pèlerin

La malice populaire s’en donne à cœur joie et montre comment le «jacquet» est perçu par celui qui le regarde passer.

1 -Le pèlerin est un lève-tôt, comme l’écureuil qui lui emprunte son nom en Normandie, ce qui donne l’expression «se lever dès le paître au jacquet », puis se lever dès «patron Jacquet » [1]

2 - Au XIVe siècle, les «Jacques de Douvres» sont les pèlerins que l'on peut gruger en vendant «ce qui a été deux fois chaud et deux fois froid » [2] et par suite, dans le langage des cuisiniers «un Jacques » [3] est un mets manqué qui n’est vendable qu’au pèlerin. «Va-t'en de ma fenêtre, tu fais le Jacques » [4] s’écrie une jeune fille du XIVe siècle, ce qui signifie : tu attends inutilement, aussi inutilement que le «Jacques de Douvres » [5] qui attend un bateau en partance pour Compostelle.

Par extension, des dérivés du mot «jacques» ou «jaquet» ont désigné des hommes plus ou moins méprisables et facilement exploitables : Froissart [6] rapporte en 1357 que les vilains de Clermont en Beauvaisis «avoient fait un roi entre eux … et ce roi on appeloit Jacques Bonhomme ». Il ne donne pas d’autre explication et ne prononce pas le mot de «jacquerie» pas plus qu’il n’explique le nom du roi. Il décrit les insurgés comme arpentant les routes, armés seulement de «bastons ferrés et de couteaux ». Dès 1359 «les jacques» désignent nommément ces paysans [7] . L’expression est encore utilisée un siècle plus tard, en 1457, lorsque le chevalier allemand Georg von Ehingen rencontre à La Corogne des compatriotes pèlerins qu’il qualifie de «paysans ou jacquets de nos pays » [8] .

Dans son dictionnaire, Littré remarque que la langue anglaise a fait du «jacques» le «jockey» qui désignait un homme de peu, un niais, un parasite. Ce n’est que tardivement qu’il fut utilisé pour qualifier le «jeune domestique chargé de conduire la voiture et, plus particulièrment celui qui monte les chevaux de course ».

Au féminin, le mot donne la «jaquette» ou pourpoint porté par le «jaquet», pourpoint évidemment porté par tous les paysans. En 1459 à Cordes, ce pourpoint est l’un des trois éléments fondamentaux de la tenue du pèlerin, avec la coquille et le bourdon. En effet chaque confrère de la confrérie Saint-Jacques, le jour de la procession doit impérativement «portar sa jammeta e cauquilas e bordo» [9] , terme traduit [10] au XVIIIe siècle par «rouqueta»

La «jaquette» est aussi un coffret de pèlerinage et une boîte de jeux. Le pèlerin d’Amours du XVIe siècle [11] porte une «jasquette de cristallin, et non de bois qui est plus parfaite» qui rappelle la «boiste de bois où il y avoit trois ou quatre lettres» incluse dans la besace d’un vieux pèlerin vagabond en 1393 [12] . Il n’est pas impossible de voir un lien entre cette boîte et le jeu de «jacquet» ou «jockey» [13] qui est version simplifiée du trictrac et qui a pu se jouer dans ces boîtes. Ce jeu fut-il inventé par les pèlerins de Saint-Jacques pour s’occuper pendant leurs loisirs forcés en attendant les bateaux ?

Autour des habitudes du pèlerin

      - Les pèlerins sont bavards, ils transmettent les nouvelles, racontent des histoires. Lorsque d’anciens pèlerins se rencontrent, ils privilégient la parole, à tel point que la confrérie Saint-Jacques de Châlons interdit en 1526 aux confrères de «jacquetter» pendant la procession. C’est évidemment par analogie que sont dénommés «jacquot», «jaque» ou «jaquette» tous les animaux qui parlent, perroquets, geais ou pies [14] . Est-ce en référence à ce savoir diffusé sans contrôle et par là-même suspect qu’à Neuvy-Saint-Sépulchre «avoir le jacquet chez soi» signifie être ensorcelé [15] ?

      - Dans les régions d’Egletons, de Tulle et de Saint-Ybard, on appelle «jacques» des châtaignes sèches, en souvenir de l’époque où elles constituaient la partie principale de l’alimentation des pèlerins [16] .
- C’est sans doute pour une raison semblable que l’arbre à pain est surnommé le «jacquier». Originaire des îles du Pacifique, cultivé aux Antilles, Indes, Malaisie, par quel pèlerin a-t-il été nommé ? Il est connu pour son fruit farineux à chair blanche semblable à une grosse figue verdâtre qui, cuit a un goût de pomme de terre.
- Et on dit que les madeleines sont en formes de coquilles en souvenir de ce qu’elles sont pratiques à emporter sur la route par les pèlerins.

- Dans le Maine, on parle du «feu de Saint-Jacques» comme d’une maladie contagieuse moins grave que la lèpre [17] . Ailleurs le «mal saint Jacques» [18] est un mal de gorge.

 

-  Par analogie avec le genre de vie semblable à celui du pèlerin, les imprimeurs qui allaient de ville en ville colporter les produits de leur art ont utilisé les attributs dans leur jargon professionnel : la «coquille» est devenue la faute typographique à corriger et les omissions du texte ont été signalées dans la marge par un bâton surmonté d’une boule, un bourdon. D’où l’expression «faire des bourdons» pour désigner ces fautes du compositeur [21] .

- Les férus d’ésotérisme étudient d’autres personnages qui circulent beaucoup sur les grands chemins, ces «enfants de maître Jacques, bâtisseurs de la colonne du temple de Salomon …constructeurs de mégalithes» dont certains croient retrouver la trace dans les mots basques Jakin = savoir et Jakinak = ceux qui savent [22] . Dans ce même pays basque, dans les nombreux chrismes qui ornent les façades des églises, chrismes qu’on appelle là-bas «chemin de saint Jacques», Dieu sait pourquoi, ou «pendule à Salomon»

A propos du chemin

Repère dans l’espace, le «chemin de saint Jacques» désigne la Voie Lactée, sans doute depuis le XIIe siècle. Au XIXe siècle, quand un cheval déjette sa jambe dans une direction qui est toujours la même, on disait qu’il «montre le chemin de Saint-Jacques» [19] . George Sand a vu les paysans berrichons lire l’heure la nuit en se repérant sur la position des étoiles du chemin de Saint-Jacques. Le meunier d’Angibault dit : « Si l’horloge du bon Dieu n’est pas dérangée, les étoiles de la Croix marquent dix heures sur le chemin de Saint-Jacques» [20] . Elle explique, ce qui est bien connu, que la Croix est la constellation du Cygne, incluse dans la Voie Lactée.

Toujours dans le ciel, la constellation d’Orion est parfois appelée constellation de saint Jacques. Paul Claudel, Federico Garcia Lorca mais certainement d’autres avant eux ont assimilé saint Jacques Matamore au géant Orion, transformé en constellation après avoir été tué par la déesse Artémis. Ce que d’aucuns appellent le baudrier d’Orion est vu parfois comme bâton de Jacob. Et la massue d’Orion devient sans problème l’épée de saint Jacques…

Saint Jacques en botanique

- Le Veneranda Dies parle déjà du «lys de saint Jacques» et ce nom de «lys Saint-Jacques» [23] est porté par une variété de lys, amaryllis formosissima. Une seconde varété, Sprekelia formosissima: [24] s’appelle «amaryllis croix Saint-Jacques».

      - Le «bourdon de saint Jacques» ou  «bâton de saint Jacques» désigne la rose trémière Althœa rosea, la guimauve Althœa officinalis [25] ou le delphinium [26] et le «bâton de Jacob» est le lys des jardins lilium candidum.

- Une herbe, variété du seneçon, porte le nom de «herbe de saint Jacques» [27] , «senneçon jacobée» [28] , «grande jacobée» ou «jacobée élégante» [29] Elle est souveraine en décoction ou en cataplasme pour guérir les blessures et calmer la fatigue, et nommée sans doute ainsi car elle est recherchée par les pèlerins.

 

Saint Jacques en zoologie

Outre la coquille et tous les animaux qui parlent, le «jacquet» désigne un crapaud gris à ventre jaune que les sorciers capturent dans la nuit avant qu’il ne soit âgé de trois jours, lui attachent un fil rouge à la patte et le font sauter dans une écuelle pour faire tarir le lait des vaches du voisin.

Les fonctions coquines des attributs

Au XVIe siècle, le poète Mellin de Saint-Gelais [30] fait des promesses de fidélité à une belle pèlerine de Saint-Jacques et souhaite être récompensé en ayant la permission de «fouiller en sa panetière».

Au XVIIe siècle, l’abbé de Voisenon [31] que Voltaire appelait crûment son «cher abbé Greluchon» rédigeait deux quatrains intitulés <i>Bouquet pour le jour de saint Jacques :</i>

 

Le patron de toutes les filles
C'est le saint Jacques des Bourdons;
Le patron de tous les garçons
C'est le saint Jacques des Coquilles.
Nous pouvons tous les deux nous donner un bouquet,
Coquilles et bourdons exigent que l'on troque;
Cet échange affermit l'amitié réciproque,
Et cela vaut mieux qu'un œillet.


[1] dict. Littré.

[2] GEOFFROY CHAUCER, Les contes de Cantorbéry, 2e partie, « le prologue du conte du cuisinier  », trad. J. de Caluwé-Dor, Peeters, Paris, 1986, p. 37.

[3] LECOTTÉ, (R.), “Folklore des cuisiniers parisiens”, Bulletin folklorique d'Ile-de-France, 1951, 264-8

[4] GEOFFROY CHAUCER, Les contes de Cantorbéry, 2e partie, le conte du meunier , trad. J. de Caluwé-Dor, Peeters, Paris, 1986, v. 3708.

[5] GEOFFROY CHAUCER, Les contes de Cantorbéry, 2e partie, le prologue du conte du cuisinier , trad. J. de Caluwé-Dor, Peeters, Paris, 1986, p. 37.

[6] FROISSART, Chronique, chap. LXV, p. 388 éd. La Pléiade, Paris, 1952, Historiens et chroniqueurs du Moyen Age.

[7] ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992.

[8] Georg von Ehingen, Reisen nach der Ritterschaft, éd. Gabriele Ehrmann, Gröppingen, 1979, t. I, p. 44-47

[9] A. D. 81, 43 EDt, GG 100, confrérie Saint-Jacques de Cordes

[10] même cote

[11] MONTAIGLON, (A. de), t. V, Le pèlerin d'Amours, p. 162-203.

[12] A. N. JJ 144 fol. 98

[13] Littré

[14] dict. Littré;

ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992, art. jacasser.

[15] TCHOU, (C.) éd. Guide de la France mystérieuse, Paris, éd.  1976, p.628

[16] QUINCY (G.), « Pèlerins et chemins de Saint-Jacques de Compostelle en Corrèze », Compostelle n°26, 1968, p.4.

[17] MORISSET, (Dr. J.), « Voyage autour de la mairie de Mayenne », Bulletin de la commission historique et archéologique de la Mayenne, 2e série, t. 421, 1926, p. 50.

[18] TOBLER-LOMMATZSCH, Altfranzösisches wörterbuch, Wiesbaden, 1963, t. V;

dict. GODEFROY, art. esquinancie

[19] LEMICHEL, (E.), Leçons d'hippologie, Versailles, 1860 ; Ginot, Emile, « Saint Jacques et ses pèlerins dans la légende et le folklore », Revue du Bas-Poitou, t. 26, 1913.

[20] SAND, (G.), Le meunier d’Angibault, Paris, 1845, reprint Plan de la Tour, 1976, p. 177.

[21] GINOT, (E.), « Saint Jacques et ses pèlerins dans la légende et le folklore », Revue du Bas-Poitou, t. 26, 1913.

[22] URRUTIBEHETY, (C.), « Les chemins de Compostelle, l'Occident et la quête du sacré », Bulletin du musée basque, 1er trimestre 1989, p.103-115.

[23] Revue horticole, Paris,1838-1841, p. 489

[24] du nom de Sprekelsen, mort dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui fit connaître la plante à Linné

[25] dict. Littré.

[26] A Nantes actuellement

[27] SOUTHERN, (RR.W.), L'église et la société dans l'Occident médiéval, 1970, trad. 1987.

[28] Bazoches (Seine-et-Marne), bibl. mun. ms. HUET, (A.F.), Notes et souvenirs sur le village de Bazoches-lès-Bray, 1925.

[29] dict. Littré

[30] Œuvres complètes, éd. D. Stone, Paris, Klinsieck, 2 vol. 1993-1995 ; Molinier, Mellin de Saint-Gelays, Rodez, 1919.

[31] T.III des Œuvres, p.355

 

* Pour en savoir plus sur le seneçon jacobée d'Acadie, voir le site, où nous avons emprunté les illustrations

La photo de l'écureuil a été empruntée au site du sercice canadien de la faune

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