Il est, au cœur de la France centrale, une
petite vi|l|e que deux Américains célèbres, les frères
Pennel, ont qualifiée, avec quelque exagération peut-être,
de « site le plus pittoresque du monde ».
Il est certain que Le Puy impressionne fortement celui qui le contemple
pour la première fois. Son rocher Corneille surmonté d'une
statue colossale de Notre-Dame de France, sa cathédrale aérienne
s'étirant au-dessus d'un porche béant, son église
dédiée à saint Michel perchée comme un nid
d'aigle sur un rocher pointu, son aspect resté moyenâgeux
en font un des lieux où le tourisme aime à drainer ses foules.
« Le Puy : ville sainte et ville d'art », annoncent un peu
partout affiches et pancartes.
Et voici qu'à l'occasion du millénaire du pèlerinage
à Saint-Jacques-de-Compostelle, l'attention du monde chrétien
vient d'être une fois de plus attirée sur Le Puy-Sainte-Marie,
comme on le nommait jadis, On a dit et imprimé que Godescalk, évêque
du Puy, fut le premier pèlerin français à s'acheminer
vers Santiago de Compostelle. Qu'était donc cet évêque
épris de grands voyages ? On a oublié de le dire, Godescalk
était d'origine espagnole. Il était arrivé en Velay
par cette route du Midi qui de tous temps a mis les Espagnols en contact
avec nos ancêtres et avait voulu faire profession dans le plus vieux
monastère de notre contrée, celui du Monastier, fondé
en 680 par des moines venus de Lérins. Le Monastier a toujours
joui d'un grand renom, tout d'abord parce qu il fut pillé au VIII"
siècle, lors de l'invasion sarrasine. Son abbé saint Théofrède
devait d'ailleurs mourir des coups reçus de la part de ces mécréants.
Le Monastier a fondé de nombreuses paroisses, placées pour
la plupart sous le patronage de saint Pierre, il devait aussi avoir par
la suite une pléiade d'abbés aussi illustres par les vertus
que par la naissance. Bref, c'est dans ce monastère perdu dans
la montagne que Godescalk avait émis la profession religieuse,
là aussi qu'il avait dû se signaler par ses éminentes
qualités, puisque, à la mort d'Hector, évêque
du Puy, les chanoines de cette église l'élurent pour prendre
sa place.
Dès lors, est-il étonnant que le nouvel évêque
ait songé à revoir son pays d'origine et qu'il ait voulu
saluer une fois encore le grand patron de l'Espagne, saint Jacques le
Majeur ? Notre chroniqueur Odo de Gissey, rapportant les propres termes
d'un contemporain de Godescalk, un prêtre de Pampelune nommé
Gomezan, nous dit que l'évoque Godescalk « sorty par dévotion
du païs d'Aquitaine, accompagné d'un grand nombre de personnes,
s'acheminoit en Galice avec diligence afin, d'implorer l'aide de Dieu
par les suffrages de saint Jacques Apostre. »
Le mouvement est donné, il va continuer durant des siècles
à tel point que Le Puy deviendra un des principaux points de départ
pour le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Les pèlerins
s'assemblaient devant une des plus vieilles églises du Puy; celle
de Saint-Pierre-Le-Monastier, ainsi nommée parce quelle était
desservie par des religieux venus de ce monastère. C'était
là que l’on prenait le départ. On continuait par la
rue Saint-Jacques, qui porte encore ce nom, puis par le faubourg des Capucins
où « la Croix de l'Arbre Saint-Jacques » est toujours
debout. Le cadre restreint d'un simple article ne nous permet pas d'entrer
dans de plus amples détails Rappelons seulement que les pèlerins
partis du Puy passaient par les abbayes d'Aubrac, de Conques et de Moissac.
Ces abbayes dépendaient de Cluny. Ne perdons pas de vue que ce
sont les grands abbés de Cluny qui ont organisé, dès
le XIème siècle, le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle
et en ont réglé les principales étapes, de manière
à faire passer le pieux voyageur par des prieurés dépendant
de leur obédience. Dans ces asiles de la prière et de la
charité le pèlerin sera encouragé, guidé et
soigné, s'il en est besoin.
De Moissac, les pèlerins partis du Puy s'acheminaient vers Lectoure
et Condom, puis par Eauze et Aire aboutissaient à Ostabat, au pied
des Pyrénées. C'est là aussi que venaient aboutir
les pèlerins partis de Vézelay et de Saint-Martin-de-Tours.
Quelle affluence ! Nous avons de la peine à nous en faire une idée.
On descendait ensuite vers la Navarre, puis c'était le long chapelet
des villes espagnoles brûlées de soleil et riches en souvenirs
: Puente, Estelia dont le nom signifie étoile, Burgos, Fromista,
Carrion, Sahagun, Léon, Astorga. C'est à Monte San Marcos
que dans le lointain on apercevait pour la première fois les clochers
de Saint-Jacques-de-Compostelle. Harassé mais content, le pèlerin
du Puy pouvait enfin embrasser la statue de l'Apôtre, et lui confier
les intentions que parents, amis et connaissances lui avaient recommandées.
Tous ces cierges qui grésillaient devant le tombeau du grand saint
de l’Espagne, la forte odeur d'encens qui montait de toute part,
la piété enthousiaste et communicative de tous ces gens
prosternés laissaient au pèlerin parti du Velay ou d'ailleurs
un souvenir inoubliable. Et puis quelle fierté de pouvoir bientôt
montrer aux siens la célèbre coquille accrochés à
ses habits et de dire : J'ai été à Saint-Jacques-de-Compostelle»
!
Le Puy a gardé très longtemps une confrérie de Saint-Jacques.
C'est ainsi que notre chroniqueur vellave Jean Burel nous apprend qu'en
1591 il s'est rendu en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle.
La dévotion à ce grand saint n'était pas la seule
à créer un lien de plus avec nos voisins de l'autre côté
des Pyrénées, car si les Français allaient en Espagne,
les Espagnols, de leur côté, accouraient en France. Le Puy
les attirait par son célèbre pèlerinage à
celle qu'ils désignaient sous 1e nom de Nuestra Senora de Francîa.
A leur départ, ils emportaient chez eux des statues de Notre-Dame
du Puy. Ne nous étonnons donc pas de trouver très souvent
en Espagne le culte de la Sainte Vierge sous le titre de Notre-Dame du
Puy. Selon les régions on l'appelle Puey, Puayo, Puig ou Puche.
Ces Vierges sont très nombreuses. Dans le seul diocèse de
Huesca on en a compté plus de quarante. Les plus anciennes remontent
au IXe siècle et les plus récentes au XIIIe.
Faut-il ajouter que dans cet antique sanctuaire da la cathédrale
du Puy où, au cours des âges, sont venus s'agenouiller six
papes, treize rois de France, un grand nombre de saints et des multitudes
de pèlerins, les fils de la noble Espagne aient eu à cœur
d'offrir eux aussi leurs hommages à la reine du Ciel.? Les rois
d'Aragon et de Castille sont venus s'incliner devant elle et lui ont fait
de riches présents. Ajoutons enfin que deux des plus illustres
fils de la catholique Espagne, saint Dominique et saint Vincent Ferrier
ont prié avec leur ferveur coutumière entre les murs de
notre vieille cathédrale qui semble garder encore le parfum et
l'ardeur de leurs supplications.
Le millénaire du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle
nous offre ainsi la joie de rappeler quelques-uns des liens qui nous rattachent
à nos voisins et amis d'Espagne.
André CHANAL.
|