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Accueil mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente
 

Avec saint Jacques vers Compostelle
Jean-Louis PICOCHE,
Éd. Elor, Saint-Vincent-sur-Oust, coll. saints légendaires, 2003

 Un éditeur courageux et lucide demande à un historien de faire une recension d’un de ses livres et de la publier sur le site de la Fondation David Parou Saint-Jacques.    

Remarque préliminaire : il est gênant que ce livre ne se conforme pas aux usages éditoriaux en cours, à savoir que, lorsqu’on parle du saint on écrive saint Jacques (s minuscule) et que lorsqu’on parle du lieu on écrive Saint-Jacques (S majuscule et trait d’union entre Saint et Jacques).

Un père de famille parisien, inspiré par un mystérieux pèlerin et son âne, entraîne sa femme et ses deux enfants vers Compostelle. En guise de préparation, il invite les enfants à rechercher dans la Bible tout ce qui concerne saint Jacques. Comme il n’a pas beaucoup de temps, il rejoint la frontière espagnole en voiture, tout en continuant à raconter aux enfants ce qu’il a appris sur le pèlerinage. Sur le Camino frances, il marche parfois en famille mais, le plus souvent femme et enfants visitent les sites qu’il leur a indiqués pendant que lui est guidé sur le chemin par son énigmatique compagnon. A 100 km. de l’arrivée, toute la famille marche à pied, afin d’obtenir la Compostela.

 

Séduisant. C’est le premier mot qui s’impose après une lecture attentive de ce livre, séduisant car écrit dans un style alerte, simple et facile. Il témoigne d’un réel souci de scénario tant dans la présence du pèlerin et de son âne que dans les questions des enfants. Ces questions sont bien posées, tellement bien posées que l’on se demande très vite si ce ne sont pas celles que l’auteur n’ose pas formuler pour son compte personnel. Peu importe que ce pèlerinage soit réel ou fictif, seul compte le fait que l’auteur a «lu beaucoup de livres sur le sujet» (p. 54) et qu’on le sente. Il a certainement marché, et sa marche lui a révélé quelques vérités bien prosaïques : «un pèlerinage est une prière, mais toutes les peines de la marche sont aussi des prières (p. 77-78)… «onze jours pendant lesquels j’oubliais de prier et de vénérer les reliques, inquiet de ma famille» (p. 167). Ailleurs il découvre que «l’hospitalero est entièrement bénévole» (p. 110) et que «le paysage est peut-être très beau mais je ne l’admire pas beaucoup, occupé à regarder mes pieds?, à éviter les pierres et les flaques, à observer les flèches jaunes » (p. 92-95). Séduisant pour ceux qui souhaitent retrouver dans les livres toutes les idées reçues comme les enfants qui aiment se faire raconter sans fin les mêmes histoires.

 

Décevant cependant pour ceux qui aimeraient sortir des poncifs habituels : il y a des cartes de chemins de Compostelle et des routes à emprunter obligatoirement, il y a des animaux féroces sur les routes, avec des brigands, l’ordre de Santiago faisait la police de ces routes, il faut partir du Puy ... (bien que parti de Paris, l’auteur rencontre des embouteillages à Orléans qui lui permettent opportunément de passer par Le Puy !) etc, etc ...
Dommage qu’on ne sache pas quels livres a lus l’auteur. Si on peut en deviner certains, d’autres ont dû un peu le déstabiliser et le pousser à s’interroger sur la différence entre la Vérité Révélée qui est le fondement de la Foi, et la vérité scientifique. Il croit se tirer de ce débat entre Foi et Raison en vilipendant les historiens et en récusant leurs travaux. Au nom de la Foi, au lieu d’introduire au mystère et au rêve, il construit des raisonnements spécieux pour prouver que tout est vrai dans l’histoire de saint Jacques, prenant pour vérité immuable tous les mythes et légendes.
Les imprécations contre les historiens : «le métier des historiens est de douter de tout. Ils font leur métier, il ne faut pas leur en vouloir» (p. 103) ; «Bien entendu les historiens, les esprits forts, surtout ceux qui sont les ennemis de notre religion, ont déclaré tout de suite que tout cela n’était qu’histoires de bonnes femmes» (p. 104) ; «Certains historiens commencèrent à douter (vous savez les historiens sont payés pour douter de tout» (p. 117) ; Les historiens comme toujours, disent que c’est une légende (p. 126) ; «Sachez d’abord que c’est la mode, en ce moment, de dire que la plupart des reliques sont fausses» (p. 104). Dommage qu’il n’ait pas lu les historiens, ils lui auraient appris que cette «mode» existait déjà au XIIe siècle, quand le bon moine Guibert de Nogent contestait vigoureusement l’authenticité des reliques tout autant que la véracité des Vies de saints qu’on lui demandait d’écrire «alors qu’il ne les avait pas connus» ! Il aurait pu lire aussi que les théologiens médiévaux les plus renommés, tout comme beaucoup de fidèles, savaient pertinemment que les reliques étaient fausses, mais que ce qui importait, c’était la force et la sincérité des prières.
L’auteur sait tout, parce qu’on le lui a enseigné et qu’il n’est pas question de remettre cet enseignement en question : il y a deux saints Jacques («faites bien attention, il y a deux saints Jacques», p. 21) et c’est le Mineur qui a écrit l’épître, donc elle ne concerne pas «notre saint Jacques à nous» (p.24). S’il n’avait pas eu si peur des historiens, il aurait lu qu’au Moyen Age, tous les fidèles confondaient les saints Jacques en un seul et que même les théologiens hésitaient pour savoir qui était l’auteur de l’épître, qu’à Compostelle on l’utilisait abondamment et que le saint Jacques Majeur de Saint-Gilles de Provence porte sur son Livre une phrase de cette épître. Il saurait que les recherches les plus récentes tendent à attribuer l’Epître à un troisième Jacques.
Des preuves qui n’en sont pas. Premier exemple : saint Jacques est venu prêcher en Espagne. Pour cela il est indispensable que la légende soit réalité : «réfléchis un peu. Jésus est mort en 33, saint Jacques en 44, c’est plus de temps qu’il ne faut pour aller en Espagne, y prêcher et revenir pour se faire décapiter» (p. 103). «Tous restent muets» devant cette si belle démonstration.
Second exemple : les reliques de saint Jacques reposent réellement à Compostelle. Le pape les a authentifiées au XIXe siècle. «Oui, mais un pape peut se tromper, comme tout le monde. Cette déclaration n’engageait pas son infaillibilité». Ô merveille, enfin quelqu’un qui connaît la définition de l’infaillibilité pontificale… il va douter ! Mais hélas, il se contente de conclure abruptement : «maintenant, croyez ou ne croyez pas, libre à vous, mais je pense que c’est bien pour vénérer les reliques de saint Jacques lui-même que nous peinons, en ce moment, sur la route de Compostelle» (p. 121).
Troisième exemple : «mais ces miracles, ce sont des légendes. On ne peut pas y croire» disent les enfants. «Je n’en suis pas aussi sûr que vous» répond-il… Ou encore : «Les dragons ça n’existe pas», réponse : «Je l’ai pourtant lu dans un livre très sérieux. Tu y crois, toi ?». Réponse : «Je suis sûr qu’il y a beaucoup de vrai». Et de citer saint Pierre libéré de sa prison (Ac, 12), ce à quoi rétorquent les enfants : «Alors, ce n’est pas une raison». Obstiné il répond : «Mais le comte Ermangaud a existé, voyez comme c’est précis. Pourquoi ne pas vouloir y croire ?». Et il conclut d’une manière pertinente : «ce miracle comporte une morale : la prière rend libre, même en prison» (155-156). Et là, c’est un vrai miracle de lire cette conclusion inattendue après ces raisonnements !

 

Dangereux. A certains égards, ce livre apparaît dangereux par la peur et le mépris qu’il véhicule insidieusement. Derrière le rejet de l’historien que peut-on deviner ? La manifestation d’une peur ambiante du progrès, particulièrement visible aujourd’hui dans les milieux où se retrouvent d’anciens pèlerins ? Un durcissement d’une partie des fidèles qui se réfugient dans la tradition ? «C’est ce que nous dit la tradition» (p. 54) ; «c’est la tradition et la tradition ne ment pas» (p. 104). Quelle tradition ? Ici l’historien n’en voit qu’une, celle qui s’appuie sur des images pour signifier et faire comprendre que la foi chrétienne s’est répandue jusqu’aux confins de l’Espagne où elle a été défendue. Ne confondons pas tout. Une autre soi-disant tradition veut que le pèlerin cogne sa tête contre celle de Maître Mathieu ? «il paraît que ce geste rend intelligent» (p. 182), mais ce geste n’est vieux que d’une cinquantaine d’années, lancé par des étudiants en médecine facétieux… Une autre encore, celle de jeter une pierre sur le monticule de la Croix del Ferro à Foncebadon car, de temps immémorial, les pèlerins l’ont fait. Or, en 1952, l’abbé Branthomme nous apprend que cette croix venait d’être relevée par le médecin du village et que les pierres étaient jetées par les moissonneurs venant de Galice et du Bierzo pour les moissons de Castille. A quelle tradition obéissaient-ils ?

Pourquoi ce besoin d’affirmer la présence réelle du corps de saint Jacques à Compostelle ? Pourquoi vouloir faire passer pour vraies les légendes ? N’est-ce pas confondre le Dogme avec des faits imaginaires ? Il est effectivement du métier de l’historien de douter de tout. Mais douter ne signifie pas rejeter. C’est tenter de comprendre le pourquoi des écrits et de démêler le réel du mythique. Il n’a jamais été dans les buts de l’historien de rejeter le merveilleux, mais au contraire de s’en nourrir pour approcher au mieux les mentalités anciennes, pour faire resurgir les voix disparues.

Dans ce livre encore, un zeste de nationalisme : c’est grâce aux Français que les Espagnols ont appris à construire des églises et à cultiver… grâce aux Français, grâce à Charlemagne, «notre Charlemagne» que les Sarrasins ont été chassés. Un autre zeste d’indifférence aux Espagnols rencontrés. Tout ce que dit la cabaretière de Burguete «semble vraiment sans intérêt». Elle racontera «l’histoire de sa famille et du pays tout entier à d’autres victimes» (p. 92-95). Le pèlerin ne s’intéresse-t-il qu’à ses semblables ? Doit-il passer, hautain et méprisant, indifférent à ceux qui vivent dans ce pays ? Est-il guidé par la peur de l’autre ? Même la peur des autres pèlerins ? «Certains sont là pour espionner et détruire, induire les pèlerins en erreur, leur glisser des faussetés sur Notre Seigneur et les éloigner tout doucement de notre foi» (p. 153). Et surgit inévitablement le vieux serpent de mer : «ainsi, même sur le chemin de Saint-Jacques, on peut rencontrer des Francs-Maçons, des ennemis de l’Eglise !» (p. 171).

A cela ajoutons un gros zeste de machisme et de condescendance vis-à-vis de l’épouse de ce bon mari. Elle «a une connaissance des évangiles un peu plus poussée que celle des enfants» (p. 29), elle prépare le dîner pendant que monsieur est plongé dans les livres (p. 20-21), le Maître et le mari lui dictent ses étapes. Quelle image de la femme !!!

 

Ce livre est plus dangereux que d’autres parce qu’il met des enfants en scène. Mais il n’est pas unique en son genre. Des écrits de la même veine s’évertuent à prouver que saint Jacques est bien apparu dans le ciel de Clavijo en 844 (ou en 859). Et si on l’ignore, c’est encore de la faute des historiens qui l’ont soigneusement caché… D’autres véhiculent le rejet des Lumières ou des Encyclopédistes ...Quel est ce repli frileux et méprisant ? Toujours la peur ? Peur de son ombre, peur du clonage, peur des produits transgéniques, peur de la fragilité de sa propre foi ? Est-ce cela qu’on veut transmettre aux générations futures ? Est-ce ainsi qu’on peut enseigner aux enfants la tolérance, l’ouverture au monde et la curiosité ? Il est dangereux de laisser croire que toutes les «vérités» sont de même nature et d’interdire le doute, le sens critique, la recherche personnelle. On murmure déjà que les associations de pèlerins sont assimilables à des sectes et le mystérieux pèlerin appelé Maître, (sur le modèle de Paolo Coelho ?) semble donner raison à ces inquiets. Ne donnons pas prise à ces accusations.

Ne laissons pas ce merveilleux chemin de liberté aux mains de soi-disant gardiens de la foi qui vont finir par repousser tous ceux qui sont en recherche.

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