Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente
 

Prendre le chemin ...

un besoin fondamental de changer d'horizon

Le pèlerinage est une migration temporaire pratiquée depuis la nuit des temps sous toutes les latitudes et par toutes les religions. De tout temps, des hommes et des femmes, seuls ou en groupe, quittant leur lieu de vie habituel, se sont mis en marche vers des lieux symboliques ou mythiques. Appétit de sacré ? Goût d'absolu ? Quête d'une puissance spirituelle ? Ultime trace de nomadisme ? Souvenir des temps où les groupes se retrouvaient autour de leurs nécropoles ? Sans doute un peu de chacun de ces éléments, auxquels se mêle le besoin fondamental de changer parfois d'horizon. A l'origine, le mot " pèlerin " est l'exact synonyme des mots " étranger " et " voyageur " avant de désigner, vers l'an Mil seulement, le voyageur marchant dans un but religieux vers un sanctuaire lointain, tout en gardant la synonymie première.

des formes variables mais toujours une rupture

Le pèlerinage chrétien se rattache à différents types de marche évoqués dans la Bible : Abraham quittant sa maison pour répondre à l'appel de Dieu, les quarante années d'errance dans le désert des Hébreux attendant le retour en Israël, les pérégrinations de Jésus pendant sa vie publique. Conçu comme une errance perpétuelle, ce pèlerinage a été pratiqué à partir du VIIe siècle par certains moines, en particulier des Irlandais qui se considéraient comme des étrangers sur la terre. Derrière eux, des laïcs ont mis leurs pas dans ceux de Jésus et dans ceux de ses compagnons, les apôtres, conscients de ce que la vie est elle-même un pèlerinage, un cheminement sur terre avant de rejoindre l'Au-delà.

Au Moyen Age, le pèlerinage est au cœur de la vie. Il mélange la dévotion, la fête, les rencontres et les activités marchandes. Mais le mot a évolué au fil des siècles, désignant tout aussi bien le déplacement vers un lieu lointain impliquant qu'on devienne " l'étranger " que la marche vers un sanctuaire familier, très proche de son domicile. Mais toujours, le pèlerinage marque une rupture avec la vie quotidienne.
Aujourd'hui, le terme a pris une acception plus restreinte. Le pèlerinage à la Mecque, les pèlerinages aux sanctuaires mariaux chrétiens sont uniquement des actes de dévotion. L'Eglise a sa place dans cette évolution qui a tendance à ne voir sous le terme de pèlerin que le dévot. Les moyens de transport ont peu à peu atténué les distances, faisant disparaître le pèlerinage " au long cours " : on n'est plus l'étranger à une heure d'avion. On voyage en famille, entre amis, sans quitter ses repères habituels, dans le domicile roulant que sont une voiture ou un autocar.

à pied vers Compostelle

Le pèlerin de Compostelle, en marchant à pied pendant des semaines, cherche à retrouver les sensations de ses ancêtres et se créée tout une imagerie parfois bien stéréotypée : le pèlerinage implique une dimension de pénitence. Il faut souffrir, quitter son confort, accepter des conditions de vie frustres, se priver,… Rentré chez lui, il retrouve d'autres pèlerins véhiculant avec eux, peut-être inconsciemment, une sorte de rite initiatique : mettre ses pas dans les pas des prédécesseurs, souffrir… une sorte de " bizutage " imposé par les anciens ou la tradition.
Marcher dans la boue fait-il partie du pèlerinage ? Crapahuter dans des chemins impossibles est-il obligatoire ? Mendier son pain ajoute-t-il à la valeur de la démarche ? Aucun récit de voyage des temps anciens ne fait état de pareilles obligations. La Règle de saint Benoît met même en garde contre la surenchère dans les pratiques ascétiques (gare au péché d'orgueil !). De surcroît, jouer au pauvre en demandant aux autres (les hospitaliers, les habitants des villes, les mairies, les paroisses) de subvenir à ses besoins semble bien dérisoire, et sans valeur humaine profonde. Certaines associations voient plus large. Pour elles, le pèlerin reste celui qui se met en marche. Vers qui ? Vers quoi ? A chacun de répondre. Elles sont là pour informer, offrir des choix, sans imposer. Elles disent qu'un pèlerinage se prépare, qu'il a un coût, que rien n'est dû. Qu'un pèlerin a le choix de ses itinéraires, de sa peine. Qu'il n'est pas forcément un randonneur confirmé. Que chacun construit son pèlerinage à la mesure de ses forces, que les routes de campagne sont bien agréables au pied, que le goudron n'a jamais abîmé un pied bien chaussé et qu'il permet une marche rapide. Que la marche vers Compostelle n'est pas un exploit extraordinaire (apprendre l'humilité !). Que " tronçonner " cette route magique la dénature. Elles respectent néanmoins, tout mode de pèlerinage, espérant qu'il conduira le pèlerin-touriste vers la grande route, la grande coupure d'où nul ne revient tel qu'il était parti.

Alors, que faire aujourd'hui ?

Quittant les images, les conseils, les guides de toute nature, le pèlerin d'aujourd'hui marche en droite ligne, à l'affût des rencontres des autres, de tous ceux que sa condition d'étranger effraie (ou indiffère). C'est lui qui, humblement, doit aller vers ces autres, demander sa route, demander une adresse. Chemin faisant, il s'imprégnera des conditions de vie de ces régions qu'il traverse progressivement. Au lieu de se cacher dans des chemins où il ne rencontre que ses semblables, ou de se sauver en prenant le bus, il renoncera parfois à son " pèlerinage bucolique " et, sans craindre les banlieues industrielles (quelle belle occasion de voir quelles sont les industries de la région), il s'aventurera sur les routes nationales en s'affligeant de voir les villages qu'il traverse soumis à leur trafic, il découvrira de vrais bistrots-épiceries-quincailleries-vêtements, à l'usage non des pèlerins-touristes mais des autochtones, il dormira dans des chambres d'hôtes tenues par des gens du cru. Là sont les vrais lieux de rencontres. Pas des rencontres entre soi, qu'il faut garder pour le retour, pour le plaisir de se raconter mutuellement son expérience quand on a oublié ses pieds et son sac.

Voir aussi les réflexions sur le thème ETRE PELERIN

Denise Péricard-Méa
pèlerine 1982, Bourges-Santiago, à cheval avec ses enfants (14 et 17 ans)
pèlerine 2001, Lectoure-Santiago, à pied par le tunnel Saint-Adrien
et les routes de la Cordillière Cantabrique (1100 km dont 1000 de goudron dont 100 désagréables)

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