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mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil
 

Des coquilles dans les blasons suisses

Jean-Marc Vionnet possède des armoiries ainsi définies :
« D'azur à un bâton de pèlerin posé en pal, flanqué en chef d'une étoile à 5 rais, à dextre, et d'une coquille, à sénestre. Le tout d'or ».
Etant donné la mode actuelle du « tout Compostelle », il s’est demandé, comme tout un chacun, si ces armoiries ne commémoraient pas un pèlerinage d’un ancêtre à Compostelle.
Puis il a lu l’excellent travail d’Alain Guerdat, publié en 1989 dans le n°3 de Ultreïa, Bulletin des Amis du chemin de Saint-Jacques, association helvétique, p. 16-19 sous le titre : « Des coquilles dans les armoiries communales de Romandie » dont nous présentons un résumé.



Comme beaucoup de chercheurs à cette époque, Alain Guerdat avait entrepris cette étude afin de cartographier les emblèmes de Romandie portant coquilles ou bâton et de tracer ainsi des « routes historiques de Compostelle ». Sa première surprise fut de constater que ces armoiries dataient pour la plupart des années comprises entre 1910 et 1930. « Un regain d'intérêt pour l'héraldique, apparu à la fin du XIXe siècle, et la proximité aussi de l'Exposition nationale de 1939 furent une incitation à mettre l'armorial à jour. Appelés par les autorités cantonales à créer leur emblème, les conseils communaux planchèrent sur leurs armoiries, exhibant ce que leur passé avait de plus noble. »

Il apparut que, à l’exception du Lieu (canton de Vaud) qui porte depuis 1925 sur sa bannière l’effigie du pèlerin saint Poncet qui passe pour avoir évangélisé la région, les communes ont adopté les armoiries de leurs anciens seigneurs, lesquelles portent des coquilles n’ayant de rapport ni avec Compostelle ni même avec saint Jacques, à une ou deux exceptions près :
• La famille de Grandson a chargé ses armoiries de trois coquilles d’or après la croisade de Barthélémy II de Grandson, parti en 1146. Elle a légué ces coquilles à plusieurs lieux du canton de Vaud qui ont eu un lien plus ou moins direct avec elle ou ses vassaux : Grandcour et L’abbaye depuis le Moyen Age, Vaux-sur-Morges depuis 1919, Montricher et Sévery depuis 1921, Trycovagnes et Senarclens depuis 1926 et Pizy depuis 1930.
• La famille de Grailly portait « D'or à la croix de sable chargée de cinq coquilles d'argent », vraisemblablement parce que Jean III de Grailly fut sénéchal de Jérusalem pour le roi Hugues de Lusignan en 1272. Dans le canton de Genève, Presinge (1924), Céligny (1924) et Cartigny ont gardé ces coquilles.
• Dans le canton de Vaud, les coquilles des anciens seigneurs ont été reprises à Goumoens-le-Jux, Saint-Barthélémy, Gilly, La Chapelle, sans qu’on connaisse la raison de leur adoption par ces seigneurs.
• Dans le canton de Vaud, les armoiries de Trey racontent comment, au XVe siècle, Jacob de Trey avait choisi pour armes une échelle de Jacob montant jusqu’à un nuage. Abram de Trey s’étant converti au catholicisme, le nuage se transforma en coquille et l'échelle en chevron d'or.
• Dans le Valais, Dorénaz porte une coquille, qui fit partie des armes du recteur de l’hôpital Saint-Jacques de Saint-Maurice dont elle était dépendante (enfin un rapport avec saint Jacques, mais non pas avec Compostelle).
Force fut donc à l’auteur de convenir que les liens avec la Galice étaient inexistants, malgré quelques tentatives maladroites de placer telle ou telle commune sur les « chemins de Saint-Jacques ».

Jean-Marc Vionnet a alors cherché ailleurs et trouvé une piste plus satisfaisante, même si elle reste hypothétique.
En Suisse, les armoiries ne sont pas l’apanage de la noblesse et pratiquement toutes les familles en possèdent. Encore à l’heure actuelle, des familles se faisant naturaliser ou de nouvelles branches familiales se font réaliser des armoiries par un héraldiste. Les ‘’meubles’’ y figurant peuvent avoir un rapport avec l'histoire familiale, le lieu d'origine ou le métier du commanditaire. Dans de nombreux cas, la symbolique est directement issue de l’étymologie ou liée littéralement au nom de famille, par exemple une roue de moulin et des épis de blé pour le patronyme Meunier. Plus complexe, le saint Jacques en pied figurant sur les armoiries d’une famille Mettaz, diminutif de Jacquemettaz. Dans ce cas, le personnage est directement représentatif du prénom Jacques figurant dans le patronyme originel. Elles peuvent aussi être choisies d'après des critères purement esthétiques au goût personnel du mandant ou de l'héraldiste.
« Il est probable, dit-il, que les armoiries de mes ancêtres datent de 1848, au moment où ont été reçus bourgeois de Monthey Antoine et Louis-Frédéric. Comment auraient-ils choisi ? Par allusion à leur nom, diminutif de vion, « le petit chemin », lui-même diminutif de via, la route ? Eux qui avaient pris le chemin de l’émigration depuis leur Jura natal, n’ont-ils pas voulu en choisir les symboles, l’étoile, la coquille et le bourdon ? Les membres de cette famille étant sabotiers de père en fils, n’y aurait-il pas là une représentation symbolique ‘’plus noble’’ de cet attribut, chaussant les plus modestes et sans doute aussi les pèlerins de l’époque ? »
« Une lettre découverte récemment aux archives cantonales valaisannes, me permet d'échafauder une autre hypothèse. Venant de Franche-Comté, remarié dans le canton de Fribourg, Claude François Vionnet arrive en 1803 dans la ville de Saint-Maurice avec ses deux enfants mais sans son épouse. Modeste sabotier et sans doute doté d'un caractère bien trempé, au vu des nombreux actes de justice retrouvés sur son compte, le père, accompagné de ses fils n'est pas le bienvenu dans la ville. La lettre que le Conseil de la ville écrit au Grand Baillif de la République du Valais pour justifier sa décision d'expulser cette famille, pratique très courante à l'époque envers les étrangers désirant s’établir, est très explicite à ce sujet. Trouvant asile à Monthey, à quelques kilomètres de là, on les retrouve pourtant en 1807 dans un hameau voisin de Saint-Maurice pour une courte période. Durant leurs séjours dans cette ville, ont-ils fait appel à l'hospitalité de l'hôpital Saint-Jacques dédié à l'accueil des pèlerins, nombreux à ce rendre sur le lieu du martyre de Maurice, chef d’un détachement de la légion Thébaine? Ont-ils fréquentés ces mêmes pèlerins dans le but de leur vendre des sabots ? »
Reste maintenant à retrouver trace de la commande faite en son temps à l’héraldiste, tâche difficile car au XIXe siècle, les armoiries ne faisaient pas encore l’objet d’un enregistrement officiel.

On sait que le pèlerinage de Compostelle était chose connue à Monthey, en tous cas depuis le XVème siècle. Claude Revilliodi (Revillod), qui fut notaire dans cette ville, nous a laissé à travers ses notes rédigées au jour le jour entre 1490 et 1525 une foule de détails sur le quotidien de l’époque. Trois de ses ‘’minutes’’ mentionnent des pèlerinages qu’il a effectués durant sa vie. Le premier de ceux-ci le conduira à Saint-Jacques-de-Compostelle, un périple de quelques 5000 kilomètres. Parti le 28 décembre 1486 avec cinq compagnons de route issus de la région, il est de retour le 5 avril 1487. Le second pèlerinage le mènera au Puy-en-Velay en 1504 avec quatre autres accompagnants. En 1518 il effectuera un autre pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Il est possible que d’autres habitants de Monthey aient emprunté le même chemin avant ou après lui, mais les archives de la ville ne nous en disent pas plus sur le sujet.


Bibliographie

Armorial des Communes genevoises. Publié sous les auspices des Archives d'État. Editeur,
Fred. de Siebenthal, 1925.
Armorial et Nobiliaire de l'Ancien Duché de Savoie, par le G" Ed. Amédée de Foras.
Armorial genevois.
Armorial des communes vaudoises.
Armorial illustré des communes fribourgeoises.
Dictionnaire historique et biographique de la Suisse.
Armorial valaisan.
Armorial vaudois.
- Académie chablaisienne, XXXII, 114
- Constantin et Désormaux, Dictionnaire savoyard, 1902
- Bridel, Glossaire du patois de Suisse romande, \1866
- Jaccard, MDR, 2' série, VII, 518
- « Valesia » t. XXIII, Sion , 1968 – ‘’Les annales du notaire monthesan Claude
Revilliodi’’ de Cartherine Santschi


Informations sur la ville de Saint-Maurice : www.st-maurice.ch
Pour visualiser les armoiries des communes citées ci-dessus : atlasgeo.span.ch/communes/
Pour tout savoir sur les blasons et les armoiries : www.grand-armorial.net

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