Accueil mise à jour le 6 mai, 2010 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente
 

Pierre de Rohan et le " domaine de Saint-Jacques "
à L'hôtellerie-de-Flée (Mayenne, c. Segré)

Où l'histoire d'un toponyme Saint-Jacques mène à l'histoire d'un homme,
laquelle renvoie à l'histoire d'une confrérie…

 

Nicole Lartigue-Menant et son mari achètent en 1987 une demeure presque en ruine dans le Haut-Anjou, dont seules l'épaisseur des murs et une immense poutre de chêne laissaient présager une longue histoire que Nicole cherche à connaître. Elle commence en lisant tout simplement ses actes de propriété, qui lui révèlent que cette maison et le terrain alentour dépendaient d'un couvent dédié à Notre-Dame des Anges et portaient le nom de " domaine Saint-Jacques ".
En ces temps où grandit la renommée de Compostelle, son imagination s'enflamme : sa maison aurait-elle servi de halte à des pèlerins en route pour la Galice, ou pour le Mont Saint-Michel ? Elle entreprend alors des recherches plus approfondies, lit en bibliothèque, rassemble un maximum de documents, mais, hélas, aucun document antérieur au XIXe siècle. En revanche, elle découvre que les lieux furent propriété d'un personnage illustre, Pierre de Rohan (1451-1513) dont on dit qu'il fut pèlerin de Compostelle ! Aurait-il fondé aussi ce " domaine Saint-Jacques " ? Merveille ! Son histoire éclairera peut-être celle du " domaine Saint-Jacques "… Elle demande conseil mais hélas, rien ne vient confirmer ni l'une ni l'autre des suppositions premières. Mais comme rien non plus ne vient les infirmer, elle continue de rêver… S'il est peu probable que sa maison ait vu passer beaucoup de pèlerins en route pour la Galice, il est indéniable qu'elle est sur une route du Mont Saint-Michel, et que, si Pierre de Rohan n'est pas allé à Compostelle, il est certain qu'il est allé au Mont. Sa maison fut, vraisemblablement, une maison hospitalière, l'une des ces nombreuses haltes où le passant était reçu pour la nuit, parfois dans la simplicité la plus extrême.

 
Pierre de Rohan

Pierre de Rohan, maréchal de Gié, guerrier, diplomate fut conseiller des rois Louis XI, Charles VIII et Louis XII. Il consacra sa vie à la réunion de la Bretagne à la France (Bon français et mauvais breton, dit-on de lui). En 1505, un procès pour haute trahison arrêta sa carrière.
Est-il allé à Compostelle ? Rien n'autorise à le croire. En revanche, la décoration de ses châteaux, sa devise, son testament témoignent d'une dévotion constante à saint Jacques… mais aussi à saint Michel.

La tradition familiale de ce pèlerinage à Compostelle émerge seulement au XVIIIe siècle. C'est bien tard, elle mérite le crédit qu'on peut accorder à une tradition … mais sans preuves historiques. Né en 1451 à Mortiercrolles (Mayenne, cant. Craon, cne. Saint-Quentin), près du hameau des Anges (Maine-et-Loire, cne. L'Hôtellerie-de- Flées, cadet de la famille de Rohan-Guéménée, elle-même branche cadette des Rohan en Bretagne. Par sa mère, Marie de Montauban, petite-fille de Bonne Visconti, proche parente d'Isabeau de Bavière, il est petit-fils de l'amiral de Montauban, collaborateur et ami de Louis XI. Par son père, il est petit-fils de Duguesclin. Sa famille est en disgrâce à l'avènement de Pierre II de Bretagne pour avoir trempé dans l'assassinat de Gilles de Bretagne, frère du duc. C'est pourquoi Pierre naît hors de Bretagne.
En 1457 sa mère empoisonne son père, qui meurt, laissant un testament dans lequel il refuse à sa femme la tutelle de leurs enfants. Marie de Montauban échappe à la justice, se remarie avec Georges de La Trémoille, seigneur de Craon, mais elle se retrouve enfermée en prison où elle meurt en 1476. Pierre est alors élevé par son grand-père maternel. A la mort de ce dernier, il a 15 ans. Il est, de droit, recueilli à la cour de Louis XI. En 1472, le roi lui donne la seigneurie de Gié en Champagne et il ajoute ce nom à celui des Rohan. En 1473 il fait ses premières armes au siège de Perpignan. L'année suivante il est ambassadeur chargé de faire ratifier la paix par le duc de Bretagne. En 1476, il épouse en premières noces Françoise de Penhoet dont il eut trois fils, Charles, François et Pierre. Cette même année, le roi le fait maréchal de France. A l'avènement de Louis XII, en 1498, son crédit augmente. Il partage le pouvoir suprême avec le cardinal d'Amboise, mais des questions graves l'opposent à Anne de Bretagne.
Veuf en 1497, Pierre épouse en 1503 la veuve du comte de Nemours, Marguerite, héritière de l'Armagnac et fait épouser Charlotte, sœur de Marguerite, à son fils aîné. Les deux sœurs meurent en 1503 et 1504. Tout se dégrade. Des jalousies, une brouille avec le cardinal d'Amboise qui voudrait la régence en cas de mort du roi, des difficultés avec le Parlement de Paris conduisent en 1504 Pierre de Pontbriant à accuser Pierre de Rohan auprès du roi, accusation qui débouche en 1505 sur un procès pour trahison. L'année suivante Pierre de Rohan est suspendu de son office pour cinq ans et exilé de la cour. Il est absout du crime de lèse-majesté, mais il n'en reste pas moins une tache sur son nom. Il meurt le 22 avril 1513.

Rien dans cette vie officielle n'indique un pèlerinage à Compostelle

Pierre de Rohan et le pèlerinage

Il adopte la coquille comme pièce héraldique et en entoure ses armoiries. Il la donne à ses hommes d'armes, la place sur son fanion, la sculpte sur les murailles de ses châteaux. La housse de son cheval, dit un historien du XVIIIe siècle était :

" chargée de son blason, des macles de Rohan et de ses alliances d'Evreux, de Navarre et de Milan. Autour de la housse et de la pièce de devant, on voit souvent la lettre F (initiale de sa femme ?) entremêlée avec des coquilles : je ne sais ce que cela veut dire… Sa statue équestre est sur la porte du château… il porte le collier de l'ordre de Saint-Michel. Il est revêtu de son blason, partout environné de coquilles… Cela parait avoir quelque rapport avec la devise du maréchal, Dieu gard de mal le Pèlerin(1) " Effectivement, Pierre de Rohan est membre de l'ordre de Saint-Michel et, s'il fut pèlerin, ce fut sans doute au mont Saint-Michel. Dans son testament daté de 1509 il recommande son âme à Dieu, à la Vierge et à " M. saint Michel, M. saint Pierre et M. saint Jacques, mes patrons et avocats ". Trois saints, trois grands sanctuaires de pèlerinage, le Mont-Saint-Michel, Rome et Compostelle. Mais aucun pèlerinage n'est demandé dans ce testament(2)

Marques pèlerines sur ses châteaux

o Le château de la Motte-Glain, sur les marches de Bretagne.
En 1491, Pierre de Rohan, le reconstruit et l'orne de ses armes, avec coquilles et bourdons.
o Le château du Verger (Seiches-sur-le-Loir), en Anjou.
Il a appartenu aux Du Guesclin. Un descendant le vend au maréchal de Gié en 1482. Celui-ci le fait reconstruire à partir de 1491 par Colin Byart, architecte d'Amboise. Un document de 1615 décrit ses six tours rondes couronnées de machicoulis, créneaux et hauts toits pointus, les murs plaqués de bourdons de Saint-Jacques en saillie, reliées par des courtines surmontées d'un chemin de ronde…Escalier ouvrant au centre, couronné d'une statue équestre du maréchal de Gyé. Reste, sur l'archivolte d'une porte basse est décoré d'un collier de l'Ordre de Saint-Michel. Au début du XXe siècle, le comte de Cherisey fit disparaître les bourdons lors de ses restaurations. Près de ce château, le maréchal avait fondé le prieuré du Verger, desservi par des religieux de Sainte-Croix de la Bretonnerie (1493). L'église, consacrée en 1494, a renfermé son tombeau. Prieuré vendu comme Bien National(3) , dénommé le Couvent.
Au village voisin de Mathefelon, en 1506, est une auberge définie comme un " logis ou pend pour enseigne l'image de saint Jacques " (4)
o Le château de Mortiercrolles (Mayenne, cant. Craon, cne. Saint-Quentin), près du hameau des Anges (Maine-et-Loire, cne. L'Hôtellerie-de-Flées), son château natal, dont Pierre de Rohan hérite en 1476.
Comme au Verger, il fait construire un couvent près de ce château. Il choisit un hameau tout proche pour y fonder, vers 1499, un couvent dédié à Notre-Dame des Anges et desservi par des Cordeliers. Cette fondation obéit aux dernières volontés de sa femme, dont il parle encore dans son propre testament. Le couvent est doté de reliques (une Sainte Epine, un morceau de la Vraie Croix, un morceau de la sépulture de sainte Catherine, un morceau de l'autel de saint Jean l'Evangéliste). Le pape Léon X accorde des indulgences, ce qui attire des pèlerins.
Un établissement hospitalier fut-il adjoint au couvent ? C'est probable. Fut-il mis sous le vocable de saint Jacques, comme l'auberge de Mathefelon ? Les archives sont muettes, car le couvent fut saccagé en 1592 puis à la Révolution, et vendu comme Bien National. Seuls des actes notariés de 1834 et 1921 associent le nom de Saint-Jacques au monastère des Anges. D'autres textes mentionnent dans ce hameau quelques maisons appelées " closerie Saint-Jacques " que leur architecture date de la fin XVe siècle. Une closerie est une exploitation agricole. Leurs revenus ont fort bien pu subvenir aux besoins d'un établissement charitable. On sait que le " pré Saint-Jacques " fut un cimetière. Cimetière des pauvres ? On ne sait, car des textes parlent du " cimetière des Anges ". Est-ce le même ? Le nom est-il dû à Pierre de Rohan ? Possible, mais il n'existe, sur ce sujet, aucun document antérieur à la fin du XVIIIe siècle. Par contre, on peut d'autant plus penser à un lieu d'hospitalité que, jusqu'au XVIIIe siècle, l'endroit était perdu au cœur de la forêt de Flées, laquelle était traversée par plusieurs routes fréquentées. Le nom même de L'hôtellerie de Flées signe en effet un lieu d'hospitalité, suffisamment important pour être resté dans certains textes : Hospitale de Fleio en 1419, hospicium de Flée en 1550, Hôtellerie-de-Flée en 1611, sur le premier registre paroissial.

Pierre de Rohan pèlerin de Compostelle ?

Une tradition enjolivée au fil des siècles
Si rien dans l'histoire officielle de Pierre de Rohan n'indique qu'il est allé à Compostelle, sa famille en rapporte la tradition. Celle-ci s'est manifestée à Angers en 1762, date à laquelle Jules-Hercule, prince de Rohan-Géméné, autorise la confrérie Saint-Jacques à mettre les armes des Rohan sur sa bannière, pour le motif, dit-il, qu'elle a été fondée " par notre honoré ancêtre le maréchal de Giée ". Il est très affirmatif :

" Confrérie des pèlerins de Saint-Jacques chez les Cordeliers fondée en l'honneur des pèlerinages et des croisades par le maréchal de Gié, … à son retour d'un voyage à Compostelle ".(5)

Pourquoi cette tradition ? La dévotion à saint Jacques est manifeste dans la vie de Pierre. S'il avait fait le pèlerinage avant 1505, il est vraisemblable que cela aurait été mentionné dans les pièces de son procès. L'a-t-il fait pendant sa période de disgrâce ? Nous sommes là dans le domaine de la supposition que la famille peut retenir, mais pas l'historien : en 1511, les statuts de la confrérie sont refaits, des listes de confrères sont conservées mais le nom de Pierre de Rohan n'y figure pas. La famille a-t-elle eu d'autres raisons ? Lui faut-il oublier la tache infamante du procès ? Oublier aussi que plusieurs de ses membres ont été protestants ?

Une histoire, née au XIXe siècle, est venue étoffer cette tradition. L'éditeur de la chronique de Joseph Grandet (1646-1724), l'a ajoutée en note en citant sa source, elle-même du XIXe siècle.(6) Cette histoire est localisée près du château du Verger, au lieu-dit " la fosse à Agnès " où se dresse la Croix au chien, dite aussi " obélisque de la Belle-Croix " . :

" Pierre de Gié, au retour d'un pèlerinage à Compostelle, perdit un chien qu'il aimait beaucoup. Au bout de quelques mois, le chien retrouve le chemin du Verger, se précipite sur le maréchal et meurt de fatigue et de joie. A l'endroit, le maréchal fit inhumer l'animal et élever un petit obélisque dont on voyait encore les ruines en 1857 "

D'où vient cette information ? Sans doute d'une belle histoire montée par un curé du lieu, René Tattigné (curé de 1819 à 1857) qui fit restaurer ce monument et le fit surmonter d'une croix. Auparavant il y aurait eu à la base un bas-relief sculpté représentant un chien couché aux pieds de son maître. Ne serait-ce pas un symbole de fidélité sur une tombe à une belle Agnès inhumée là ? (7)
En 1977 un auteur, sans plus de références, ajoute que le chien se nommait Relais et qu'il avait été donné à Pierre de Rohan par le roi Louis XII. Il tient cette information d'un ami habitant Seiches.(8) Tout cela est bien léger…

Notes :
1 - Montfaucon, Bernard de, Les monuments de la monarchie française, Paris, 1731, t.III, p. 144-145
2 - D'après un vidimus de 1513, éd. Maulde La Clavière, Procédures politiques du règne de Louis XII, Paris, 1885, p.777 - dom Morice, Preuvese, t.III, c. 840
3 - Arch. dép. Maine-et-Loire, I Q 444, n°586)
4 - Procédures politiques du règne de Louis XII, éd. Maulde La Clavière, Paris, 1885, p.552, n.1
5 - Paris, BN, ms. fr. 5023, Registre de la confrérie de Saint-Jacques le Majeur, en l¹église des Révérends Pères Cordeliers de la ville d¹Angers
- Pletteau, abbé T., " Annales ecclésiastiques d¹Anjou : François de Rohan ", Revue historique, littéraire et archéologique de l¹Anjou, t.XXII, janv.-juin 1879, p. 195-228 (207)
6 - Bodin, J. F., Recherches historiques sur l¹Anjou et ses monuments, Saumur, 1823, t. II, p. 73
- Soland, Aimé de, Charles VIII en Anjou et en Bretagne, Nantes, 1857, p. 9 note.
7 - Dossiers d¹André Sarazin, Arch. dép. Maine-et-Loire.
8 - Dabin, Pierre, Anjou insolite, Angers, 1977, p. 82.

 
Sources :
Saint-Quentin-les-Anges, arch. mun., cadastre napoléonien
L'hôtellerie-de-Flées, arch. mun., cadastre napoléonien
Mayenne, arch. dép.
Angers, arch. dép.
Grandet, Joseph, Notre-Dame angevine…Angers, bibl. mun
Cartulaire de l'abbaye de Nyoiseau ?
Actes notariés 18 floréal an IX28 fév. 1834, 28 avril 1850, 9 déc. 1850, 22 oct. 1886, 28 nov. 1921 ?
Paris, BNF, ms.fr 22340 F
Paris, arch. nat, MM 759

Bibliographie :
Port, Célestin, Dictionnaire historique, géographique et biographique…
Angot, (abbé), Dictionnaire de la Mayenne…
Grandet, Joseph, Notre-Dame des Anges en Anjou. Où sont les Cordeliers de l'Observance, éd. 1884…
Bodart de la Jacopière, Chroniques craonnaises, 1871…
Morice, dom, Histoire de Bretagne…
Morice, dom, Fondation de Notre-Dame des Anges en Anjou…
Martin, Georges, Généalogie de la maison des Rohan…
Denis, Michel, Le château de Mortiercrolles…
Hiret, Jean, Des antiquités de l'Anjou, 1618…
Louvet, Jean, Récit véritable de tout ce qui est advenu tant en la ville d'Angers, pays d'Anjou et autres lieux, 1592…
Revue de l'Anjou, XXII, 1879…

Nicole Lartigue-Menant et Denise Péricard-Méa 1998-2001

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